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Lauréat d'un prix Saramago, l'écrivain portugais avait déjà atteint la notoriété et se trouvait à Macao comme invité quand il lui fut suggéré d'aller découvrir Bangkok et comparer les “animatrices” de ses bars. Il n'avait pourtant rien d'un écrivain-voyageur comme on en rencontre habituellement à Saint-Malo : « Avant les conversations que j'ai eues dans un studio de tatouage au Portugal – pour Las Vegas – et dans un bar à Macao – pour Bangkok –, jamais je n'avais pensé à faire ces voyages. Ma vie a changé en raison de ces décisions prises en quelques seconde – je veux partir, je peux partir, je pars. » Voilà comment naquit un ouvrage portugais de non-fiction, sur les rivages du Chao Phraya où dès 1511 naviguèrent les premiers visiteurs européens : c'étaient justement des Portugais, et d'eux descend la petite communauté des Kudichin.

 

L'auteur était à peine arrivé à destination quand un article de The Nation, quotidien de Bangkok, lui apprit que cinq colis macabres, envoyés par des truands américains à des destinataires de Las Vegas, avaient été stoppés par le flair des postiers locaux, qu'il s'agissait non de jouets comme l'affirmait la déclaration en douane mais d'objets volés à un hôpital de la capitale thaïe. Pas d'intrigue policière donc ; en revanche, tel un fil rouge, ce côté morbide ne disparaîtra pas complètement du récit, qu'il s'agisse de l'histoire d'une saucisse au chaton chez madame Krod ou de réflexions personnelles sur la mort, celle du père de l'auteur ainsi que celle de l'auteur lui-même dans une interpellation explicite du lecteur qui peut-être lui survivra. Et c'est ainsi que toutes nos vies relèvent d'un « chemin imparfait ».

 

Comme ce premier séjour est suivi d'autres, avec l'épouse et les enfants, ou avec l'ami Makarov pour parcourir le pays depuis le Triangle d'Or jusqu'au Sud, les impressions éclatées de Thaïlande s'ajoutent les unes aux autres : « j'étais convaincu que je partais dans le but d'écrire. J'avais le projet d'écrire ce livre et je me le rappelais quand cela m'arrangeait...» S'accumulent ainsi les « carnets remplis d'une écriture peu soignée » griffonnés à la va vite dans les secousses du touk-touk, pour ne pas perdre une anecdote, pour garder trace des odeurs, des couleurs et des sons.

 

Il y a du cliché touristique dans les chapitres sur les ladyboys, sur les prostituées nues, leurs spectacles obscènes de ping-pong show, et de l'incontournable, comme la visite à tel temple réputé, à tel bouddha géant de cinq tonnes d'or. Il y a la découverte de la vie des moines, pas tous vertueux, de moments forts de l'histoire du pays jusqu'au règne de Bhumibol Adulyadej (alias Rama IX). Il y a aussi la surprise et l'indignation devant l'incroyable dureté des sanctions pour lèse-majesté frappant des universitaires ou de simples utilisateurs des réseaux sociaux incriminés pour des propos apparemment bénins aux yeux de l'occidental de passage. Devant cette réaction, et quelques autres suscitées par l'incongruité des usages rencontrés, on pourra retenir la formule pertinente de José Luis Peixoto : « Le tourisme, c'est comme regarder une télénovela dans une langue qu'on ne comprend pas.» La réaction inadaptée de touristes coréens devant le spectacle de danse des femmes l'ethnie akha participe aussi de cette incompréhension.

 

Souvent, les considérations suscités par les épisodes du voyage se mêlent aux souvenirs d'enfance ou de la vie étudiante, au quartier natal et aux fêtes villageoises, aux fils qui grandissent, et qui accompagnent à Las Vegas leur père juste venu vérifier une adresse, celle des destinataires des colis macabres. Mais cela ne suffit pas à faire de la nostalgie une dominante du récit. Pas de saudade.

 

Enfin, parce qu'on s'y attend avec la photographie de couverture prise par l'auteur un soir à Bangkok dans une ruelle populaire, il faut reconnaître que le tatouage forme l'un des thèmes majeurs, peut-être même le plus marquant de ce livre de non-fiction. Familier déjà du tatouage à Lisbonne parce que certains de ses amis en font profession, l'écrivain-voyageur évoque les tatoueurs réputés de Thaïlande comme Sompong Kanphai, qui a orné le dos d'Angelina Jolie de cinq lignes d'un adage en langue khmère, un thaew yantra, puis d'un tigre et depuis, les stars de la télévision thaïlandaise — qui n'ont pas crié à l'appropriation culturelle — demandent à se faire tatouer le même motif.

 

En bref, loin d'être un « chemin imparfait » ce livre permet de découvrir les mœurs d'un pays éloigné, et un conteur contemporain au talent surprenant.

 

 

José Luis Peixoto : Le chemin imparfait. Traduit du portugais par Patricia Houéfa Grange. Éditions Gope, déc. 2022, 212 pages.

 

Pour m'avoir permis de découvrir cet auteur portugais, un grand merci aux Éditions Gope, spécialisées dans le domaine du Sud-Est asiatique.

 

 

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE PORTUGAISE
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