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Pour son sixième roman, Aurélien Bellanger a choisi de prendre comme prétexte un auteur allemand devenu culte dont l'œuvre forme « le piège typique pour intellectuels : éclatée, fragmentaire, presque ésotérique… ». C'est ainsi qu'un groupe « d'adorateurs » constitué de trois personnes, « le critique, la philosophe et l'architecte » est placé au cœur de l'intrigue.

 

A l'issue de sa conférence donnée à la BNF en 2014, le poète François Messigné s'est suicidé en laissant — le lecteur découvrira comment — un livre posthume et inachevé « conçu comme une collection de 49 documents apocryphes sur la vie de Walter Benjamin. » C'est ce dossier qu'Aurélien Bellanger nous donne à lire. Dans un jeu de l'oie aux cases réduites au nombre de 49, dans un carré magique de 49 cases, dans l'explication talmudique du psaume VIII « selon laquelle Dieu aurait ouvert à Moïse les 50 portes de la sagesse, à l'exception d'une seule », tout indique la fin tragique de Walter Benjamin à l'aube de ses cinquante ans.

 

L'essayiste allemand — peut-être vaudrait-il mieux dire le philosophe puisqu'il se situe dans les marges de l'école de Francfort ? — voit ainsi sa vie reconstituée façon puzzle depuis son enfance à la Belle Epoque jusqu'à son suicide à Portbou en 1940. Les personnages célèbres ou inconnus qui croisent sa route témoignent directement ou indirectement des préoccupations de Walter Benjamin et de son influence sur la vie intellectuelle du vingtième siècle. Ironiquement on ira même, comme Heidegger s'adressant à Hannah Arendt dont Walter Benjamin est cousin, jusqu'à qualifier l'ensemble de « tentative mondiale de réhabilitation de ce penseur un peu raté ». Voilà en effet un philosophe, rejeton de la tradition intellectuelle allemande de Leibniz à Marx, qui dans les années 1933-39 passe son temps à la BN — alors rue Richelieu — à s'intéresser au jeu de l'oie, écoutant à peine ce que son vieil ami Gershom Sholem lui confie, encore tout exalté qu'il est de ses découvertes de textes rabbiniques médiévaux qu'il recopie avant de partir se réfugier en Palestine.

 

Les centres d'intérêt de Walter Benjamin se retrouvent comme il se doit à tout au long du dossier romancé. Les traductions de Baudelaire, la thèse refusée sur le théâtre baroque, l'intérêt porté aux passages parisiens, la perte de l'aura de l'œuvre d'art du fait de sa reproduction industrielle, le capitalisme comme religion, et bien d'autres sujets benjaminiens émaillent les lettres, mails, fragments inédits, articles de presse et de revues, que la folle imagination d'Aurélien Bellanger a su créer, dans des registres variant du plus prosaïque au plus illuminé, et en jouant de la mise en abyme.

 

Ce voyage quasi-mystique dans l'univers de Walter Benjamin donne une œuvre sans pareille où la chronologie est dédoublée entre d'une part la vie du penseur allemand et d'autre part les aventures contemporaines du trio de la BNF qu'on ne dévoilera pas ici. Il va sans dire que ce livre ne s'adresse pas plus aux amateurs d'un prose romanesque simpliste que de « feel good book ». Mais je préfère le souligner.

 

Aurélien Bellanger : Le vingtième siècle. Gallimard, 2023, 427 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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