Le Rocher blanc, par Anna Hope, cela sonne bien n'est-ce pas ? La forme et le fond semblent s'harmoniser dans ce roman formé de quatre récits ; coupés par le milieu ils naissent et meurent de part et d'autre de l'invocation du rocher blanc, émergé au large de la côte pacifique dans l’État de Jalisco. Tel un temple naturel, il est cher aux Indiens wixarika ou huichols, peuple de langue yoème, dont la mythologie localise le nombril du monde sur un site d'altitude en plein désert.
Ces récits reprennent à grands pas l'histoire du Mexique depuis l'ère coloniale jusqu'à l'époque contemporaine marquée par l'envolée du tourisme international. La plus ancienne couche narrative se découvre au cœur du livre, au plus près du rocher blanc qui sert de pivot au roman. En 1775 la monarchie espagnole monte une expédition de découverte des rivages pacifiques s'étendant au nord de la vice-royauté du Mexique alors que cet espace est également convoité par les Russes et les Anglais. Tandis que se terminent les préparatifs dans le delta du Rio Grande de Santiago, l'un des officiers perd de vue la cause des rois bourbons, déstabilisé et même envoûté qu'il est par la proximité du rocher blanc et par le contact avec le peuple wixarika. On sait comment se réglaient ces mutineries.
En 1907, le Mexique devenu indépendant a une politique d'ouverture au capital étranger marquée par la construction des voies ferrées et l'ouverture de mines d'argent. Ces “progrès”, les wixarika n'en veulent pas sur leurs terres et c'est pourquoi Ernesto Morales est devenu le chef des guérilleros. Une nuit, ses deux filles montent sur le plateau aride pour lui porter eau, pistolet et munitions. Maria-Luisa a aussi en vue de passer un bon moment avec Carlos son amoureux. Mais les soldats de la République arrivent au mauvais moment. Maria-Luis se blesse à la jambe en tentant de fuir, les deux filles sont prisonnières. Et comme le reste de la communauté indienne, acheminées vers le port près du rocher blanc. En attendant de périr ou d'être réduites à une forme d'esclavage sur les plantations.
En 1969, un chanteur américain très célèbre, alcoolique et drogué se retrouve dans les mêmes parages pour échapper à une convocation judiciaire en Floride. En compagnie d'un garçon qui l'a reconnu d'après la photo du journal, ses tribulations l'amènent de bar en bar, puis à nager jusqu'au rocher blanc où le lecteur peut craindre qu'il se noie vu son état critique. En fait non, car dans une note de fin de volume, on apprendra qu'il s'agit de Jim Morrisson. Et comme le savent les visiteurs du Père Lachaise, le chanteur mourra à Paris trois ans plus tard.
En 2020, une écrivaine anglaise accompagnée de son mari et de leur fille de trois ans effectue un pèlerinage sur les sites sacrés du peuple wixarika. Un chamane, le mara'akame, guide les touristes étrangers vers les lieux sacrés. Le voyage dure assez longtemps pour qu'on juge la perte des repères de l'écrivaine déboussolée par la crise de son couple et celle du climat. L'un se refroidit, l'autre se réchauffe. Comme en attente d'un salut, elle semble considérer qu' il n'y a rien de plus authentique qu'une communauté restée en dehors de la modernité technologique. En vain ?
Une longue note en fin de volume crée un certain malaise. Outre l'identité du chanteur de la plage, et des justifications bibliographiques insistantes, on découvre pantois qu'Anna Hope a jugé bon de prendre ses précautions pour éviter d'être accusée d' « appropriation culturelle » en créant des personnages en dehors de sa sphère nationale : triste époque où une romancière parce qu'elle est blanche et occidentale serait coupable de parler d'autres qu'elle-même ! Comme s'il fallait s'excuser d'écrire ! Anna Hope, qui est co-fondatrice du site écologiste Letters to the Earth, a sans doute voulu s'éviter les attaques injustes qu'a subies sa consœur étatsunienne Jeanine Cummins après la parution d'American Dirt, ce magnifique roman sur la violence au Mexique. Toutes ces considérations n'empêchent pas que Le Rocher blanc est un roman assez intéressant mais à la rédaction trop décousue pour qu'on éprouve beaucoup de sympathie à l'égard de ses personnages.
• Anna Hope : Le Rocher blanc. Traduit de l'anglais par Élodie Leplat. Le bruit du monde, 2022, 325 pages.