Publié en 1753 sous le titre The Adventures of Ferdinand Count Fathom, ce roman de l'auteur écossais Tobias Smollett appartient au genre picaresque alors à la mode depuis au moins Lesage dont il venait de traduire le Gil Blas. Le titre original était trop neutre sans doute pour que l'éditeur français puisse le conserver et présenter à son public cette histoire d'ascension sociale et de chute d'un personnage particulièrement révoltant. De nombreux éléments de cette fiction pourraient avoir inspiré au siècle suivant William Thackeray pour écrire celle de Barry Lyndon.
Mais revenons à Smollett. Le soi-disant comte Fathom est le fils d'une cantinière de l'armée britannique, né de père inconnu, aux confins des Pays Bas, durant l'une de ces guerres qui entamèrent le XVIIIe siècle. Par un pur esprit de lucre, sa mère a sauvé d'une mort certaine le comte hongrois Melvil gisant sur le champ de bataille. C'est ainsi que Ferdinand, recueilli par Melvil dans son château de Presbourg (auj. Bratislava) et, devenu orphelin, est éduqué en même temps que son fils Renaldo. Mais les deux jeunes gens divergent par leur conduite et leur psychologie — et c'est là toute l'idée sur quoi repose ce roman qui se lit avec plaisir, sans doute parce qu'il représente les facettes contrastées d'une époque que l'on tend trop souvent à associer aux seuls écrivains des Lumières.
Ferdinand comte de Fathom nous donne bien l'image d'un personnage maléfique. Tout est bon pour satisfaire son ambition : il ment à ses protecteurs, il vole, il trompe, il triche, mais il plait en société et Renaldo l'admirera bien longtemps, à tort. La première moitié du roman montre un Ferdinand qui peine à tutoyer la réussite, dont les ambitions sont vite contrariées car la fortune cependant lui résiste. Ferdinand abandonne les belles ingénues qu'il a séduites, comme Eleonor ; il ne renonce jamais à monter en écrasant autrui. Passé en Angleterre, brillant un temps dans la société provinciale puis à la capitale, il réussit apparemment à se relever de ses déboires successifs. Mais dans la suite du roman, Fathom est rattrapé par ses actions immorales alors que Renaldo le rejoint de façon inattendue et l'extrait d'un premier séjour en prison. Peu après, la manière dont Fathom fissure puis détruit le couple formé par Renaldo et Monimia alias Serafina est une suite de pures abjections. Fathom tente ensuite de se faire une réputation de médecin — Smollett lui-même a pratiqué comme chirurgien dans la marine avant de se vouer à la littérature — mais c'est sans succès et ses amis l'abandonnent les uns après les autres. Il est promis à la plus noire déchéance.
En contre-point, l'auteur nous donne à lire les aventures de Renaldo, qui est un homme de bien après avoir été un jeune homme falot, aventures qui rejoignent celles d'autres bonnes personnes qui en se coalisant vont triompher du mal, tout en versant bien des larmes car déjà le milieu du siècle annonce les effusions du romantisme. À la mort de son père, Renaldo a vu sa vie d'aristocrate austro-hongrois vaciller. Sa mère s'est remariée mais le beau-père n'était pas un cadeau ; il s'avère violent, enferme son épouse et tente de dépouiller Renaldo — ainsi que sa sœur, celle qui au tout début a éveillé le désir et la concupiscence de Ferdinand. Plus le roman avance, plus Renaldo apparaît comme un homme de bien providentiel. Avec l'aide d'un hidalgo exilé, d'une réfugiée huguenote, d'un médecin plein d'humanité, et d'un banquier Juif quasiment philanthrope, Renaldo devenu comte Melvil prend sa revanche sur les bassesses et les méchants. La vie sociale est ainsi un théâtre où s'affrontent le Bien et le Mal. Il faut des hommes de bonne volonté pour sauver la vertu des faibles et des méritants. Trois mariages et force rebondissements mettent un heureux point final à ce roman où l'immoralité avait si longtemps tenu la première place qu'on la croyait gagnante !
• Tobias Smollett : La carrière d'un vaurien. Traduit par André Fayot. José Corti, collection Domaine Romantique. 1999, 476 pages. (Illustration de couverture : William Hogarth, After, c.1730, Getty Museum, Los Angeles.)
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