Romain Gary : La Promesse de l'aube

Roman autobiographique qui a établi la célébrité de Romain Gary, La Promesse de l'Aube se divise en trois périodes : l'enfance à Wilno, aujourd'hui Vilnius ; les années passées en France ; l'odyssée d'un soldat de la France libre. Mais il y a un thème permanent qui est la relation fusionnelle avec sa mère, son éducatrice et son guide, son réconfort nourri en permanence comme par un « cordon ombilical ». Il y a enfin l'écriture élégante, inspirée par la plage de Big Sur, des années plus tard, quand Romain Gary est devenu consul général de France à Los Angeles.

Quand Roman Kacew naît en 1914 Vilnius fait encore partie de l'empire des tsars. Après la révolution, sa mère et lui s'y retrouvent, devenus sujets polonais. Les anecdotes abondent et rendent la lecture quasiment addictive. Roman affronte à l'école l'antisémitisme ambiant mais sa mère Mina, francophone et francophile, s'efforce de lui donner une éducation supérieure — les professeurs particuliers se succèdent — et de lui instiller l'idée qu'un grand destin l'attend, celui de grand artiste ou de diplomate français. L'un de leurs voisins abonde en ce sens : « Quand tu rencontreras de grands personnages [...]  promets-moi de leur dire : au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, vivait M. Piekielny…» Il ne faut pas oublier d'où l'on vient... Après une période fastueuse portée par les succès de sa mère qui a réussi à monter un atelier de couture et une grande boutique où les clientes privilégiées s'arrachent des articles imitant les créations de Paul Poiret, c'est la crise, la faillite. Elle décide alors qu'ils vont s'installer à Nice — suivant en cela des dizaine de milliers d'émigrés de l'ex-empire russe. Et Roman devient Romain.

La Côte d'Azur, avec la proximité de la Méditerranée réussit au jeune homme mieux que la froidure lituanienne. Mais surtout sa mère le pousse vers la réussite ! Pour cela elle est prête à tous les sacrifices. Elle s'efforce d'assurer leur subsistance par une foule de petits métiers avant de réussir comme gérante d'un hôtel bien fréquenté par une clientèle aisée comme ce peintre fortuné originaire de Pologne dont Romain voudrait bien comme beau-père. Mais Mina ne veut pas se remarier. Elle est scotchée à son fils et ne vit que pour sa réussite. Le départ pour la fac de droit à Aix en Provence puis à Paris provoque une rupture pathétique. Mais les ambitions littéraires commencent à percer tandis que Mina se donne la grande joie d'imaginer son fils devenu un brillant officier d'aviation pour défendre la patrie menacée par Hitler — avant de devenir diplomate, comme prévu...

La guerre déclenchée par le régime nazi va permettre à Romain de réaliser le programme que sa mère a rêvé pour lui. Même si au début le grade d'officier lui a été refusé par des militaires xénophobes, Romain devient un héros des Forces françaises libres et un compagnon de la Libération en 1944. Mais la gloire se paie au prix fort. Mina est de plus en plus affaiblie par le diabète. Les camarades de combat tombent les uns après les autres. Accidents d'avion, tirs de DCA, et jusqu'au typhus sont autant d'obstacles à franchir avant de revenir à Nice en héros victorieux. Et bientôt la carrière diplomatique promise à l'aube de sa vie par cette mère exceptionnelle qui lui a sans cesse communiqué sa force vitale. Quelle femme ! Sa détermination contraste avec la résignation que son fils lit sur bien des visages au moment de l'armistice, appris au camp militaire de Mérignac. « Je ne puis en vouloir aux hommes qui, n'étant pas nés aux confins de la steppe russe d'un mélange de sang juif, cosaque et tartare, avaient de la France une vue beaucoup plus calme et beaucoup plus mesurée.» Par amour maternel elle lui a insufflé le feu de l'esprit. Et Romain Kacew devient Gary : brûle ! en russe.

Un livre indispensable sur l'amour plus fort que la mort, comme sur la naissance d'un grand auteur.

• Romain Gary : La Promesse de l'aube. Gallimard, 1960 et revu en 1980. Folio, 390 pages.