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Dans la série enracinée dans sa région de Haute Corrèze (Lauve le pur, en 1990, L'amour des trois sœurs Piale en 1997, Ma vie parmi les ombres en 2003...), Richard Millet n'a pas fait de La Gloire des Pythre un roman visant à instiller la joie de vivre ! Bien au contraire. Le macabre est même présent dès le début, quand André Pythre se retrouve orphelin de mère à quinze ans dans un hameau sinistre où l'on n'a pas encore pu enterrer les morts de l'hiver. Des cercueils s'empilent provisoirement dans une grange...

 

Il y a comme une malédiction, une « maudissure »... Une atmosphère de monde rural qui meurt émerge du récit conduit de manière chorale par les voix des villageois de Siom, le village où je jeune André Pythre vient s'installer pour prendre une ferme isolée sur la rive d'en face, au sommet de la colline. Il n'est pas venu tout seul. Aimée, une servante qui est probablement la fille bâtarde d’Élise Grandchamp, propriétaire de diverses terres, s'occupe de lui depuis qu'il est orphelin. Elle est manifestement son aînée. Elle vit avec lui. C'est comme un couple non marié. Est-elle réellement débile ou ne souhaite-t-elle pas se mêler aux villageois ? Toujours est-il qu'elle ne descendra pas au centre du village, sur la place, au café-auberge de Berthe-Dieu. André s'y rend seul pour l'apéritif du dimanche. Le vide se fait autour d'eux. Ils restent des étrangers. Jugés infréquentables. De plus André les snobe, parlant français quand eux s'en tiennent au patois. Contrairement à tant de jeunes du canton, André revient de la guerre de 14. Boiteux d'une blessure au genou, mais bel homme il suscite l'intérêt de quelques filles du coin, mais c'est seulement après la mort d'Aimée qu'il prend femme dans un village voisin. Pauline ne fréquentera pas davantage les locaux qu'Aimée. Bref, les Pythre sont un peu des pestiférés. Et toujours des taiseux.

 

Sur la colline, trois enfants naissent. Amédée et Suzon d'abord, puis Jean. Le benjamin est en fait le fils de Jeanne, une jeune servante soumise qu'André a « engrossée » sans scrupule. Sa mère partie, Jean est élevé avec les autres enfants mais il se distingue par son comportement différent, doux, comme s'il était toujours un peu ailleurs, souvent l'air niais. Dès l'école il se retrouve dans le rôle du benêt du village quoique son frère aîné fasse beaucoup pour le protéger. André Pythre devenant de plus en plus violent, la famille éclate sans s'épargner les sarcasmes des villageois. Les jeunes du village ont abusé atrocement de la jolie Suzon dès ses quinze ans. La tache est une rumeur connue de tous. Aucun ne cherchera à l'épouser. Bientôt la mère et la fille s'enfuient et Amédée s'engage dans l'armée au temps de guerres coloniales forcément perdues. Jean reste seul avec son père qui s'essaie à la vente itinérante de tissus, avec un succès limité — tandis qu'on voit les voitures se succéder chez les Pythre, 203, 403, DS, rapides marqueurs du temps qui passe... Ces achats de voitures contrastent avec la masure où ils vivent, sans cheminée, avec leur hygiène douteuse, avec l'odeur aussi à ce qu'on dit. André, tué par la ruade d'une vache, le certificat de décès signé avant même sa mort par le médecin pressé, ne verra pas le retour Amédée qu'on n'attendait plus, déjà porté disparu par les autorités et le notaire. Les scènes d'obsèques se succèdent jusqu'à ce que le nom de Pythre ne soit plus porté par quiconque, à la satisfaction nauséabonde du triste chœur villageois témoins de « l'heureuse débâcle » dont on a seulement ici esquissé la matière.

 

Toute cette histoire n'a rien de glorieux, ni pour les Pythre ni pour le chœur tragique qui ressasse les ratés et les rancœurs — ce que le style superbe de Millet sait rendre à merveille par de longues phrases habitées de la sombre étroitesse d'esprit de ses personnages. Quel éteignoir que ce pays pourrait-on dire ! Pourtant le désir des hommes et des femmes se perpétue, pourtant la nature revit chaque printemps — on avait fini par en douter.

 

Richard Millet : La Gloire des Pythre. POL, 1995, 373 pages.

Pour une analyse très détaillée, voir ici.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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