Prix Fémina 2022
Un vieux couple vit retiré aux Bois Bannis, un hameau perdu des Vosges, dans une bâtisse ruinée du 18°siècle. Un jour surgit une chienne, prénommée Yes, qui bouleverse leur quotidien. C’est un roman sans intrigue, un roman d’atmosphère, de nature et d’amour, ourlé de poésie : c’est un huis-clos aux marges du monde en déclin. Les longues phrases coulent comme le temps qui use ces deux vieux anarchistes libertaires.
Ensemble depuis une soixantaine d’années, Sophie et Grieg ont fui la société à vingt cinq ans pour élever des brebis et être « au cœur du monde ». Elle, même à soixante dix ans, reste une femme révoltée et optimiste ; à l’inverse Grieg, pessimiste, ne s’est jamais senti à sa place dans le monde et vit de littérature, reclus dans son bureau. Elle, elle a besoin du dehors, des longues promenades en forêt avec Yes car elle « ne se sent bien que dans les marges ». Ce couple de « vioques » reste fusionnel et lorsque Grieg tombe malade Sophie ne peut s’empêcher de l’imaginer mort et d’éprouver l’angoisse de rester seule. C’est un roman sur la vieillesse que cette femme envisage comme « une expédition en terre inconnue ». Même si elle a dû renoncer aux randonnées en montagne il lui reste le désir de la découverte, même avec du Paracétamol. « La sagesse n’est pas pour moi » avoue-t-elle. Quand elle descend au village ou qu’elle épie des randonneurs elle se sent « orpheline de l’espèce humaine » : elle ne se vit pas comme un être humain et éprouve « un sentiment d’étrangeté » : elle s’identifie aux arbres, aux oiseaux, à la chienne, son égale : « La Nature et moi on ne faisait plus qu’un » confie-t-elle. Cette « inter-naturalité » humain-non humain donne sens à sa vie. Elle invite la chienne à sa table, ouverte aux animaux comme aux humains en guise de manifeste de l’écri-vaine qui n’a pas renoncé même si les jeunes ne liront plus de livres... Sophie se vit comme une sentinelle et veut « éclairer ce que nous allons perdre ». Extinctions animales, disparition des forêts, pannes d’électricité, grèves : le monde est entré dans l’anthropocène, dans « l’ère du grand basculement » et, comme leur vieux couple, il va vers la ruine.
Entre Grieg, « vieux gamin » contestataire retiré du monde et Sophie la « vioque devenue vulnérable » qui veut freiner la crise écologique fruit du capitalisme, Claudie Hunzinger signe un roman touchant et tragique qui nous rappelle que rien ne dure, ni les humains, ni les non-humains ni même les pierres et que « le monde continue sa course vers le pire ».
• Claudine Hunziger. Un chien à ma table. Grasset, 2022, 282 pages.
Lu par Kate