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Sur la carte du monde, situer le Kamtchatka ! Après un travail de terrain en Alaska, l'anthropologue française Nastassja Martin a souhaité compléter ses recherches de l'autre côté du détroit de Béring. La voici donc au cœur d'une péninsule volcanique de plus de 1200 km d'extension méridienne, chez les Evens, dans la région d'Icha, entre 2014 et 2019. Ces Evens cohabitent au Kamtchatka avec d'autres « peuples premiers » et avec les colonisateurs Russes ; ces derniers ont largement militarisé la péninsule qui a été un territoire interdit aux étrangers jusqu'à la chute de l'URSS.

 

D'abord l'accueil de la chercheuse française — accompagnée de son collègue de l'EHESS Charles Stépanoff — n'est pas très positif, mais le pire sera plus tard l'assaut d'un ours dont elle a fait le récit dans un autre ouvrage. En partageant la vie d'un clan familial, celui de Daria Banakanova, de ses enfants et de ses frères, les intentions de Nastassja Martin sont d'abord d'étudier en anthropologue une poignée d'Evens revenus à la forêt dès 1989, dès que « la lumière s'est éteinte », manière à eux d'affronter l'écroulement du système soviétique alors que s'accentuent les effets de la crise climatique. Daria et sa famille vivent dispersés entre plusieurs camps de chasse isolés des routes carrossables et l'usufruit de ces terres leur a été reconnue par l'administration régionale de Petropavlovsk.

 

L'époque soviétique avait certes encouragé la musique et la danse des Evens à des fins folkloriques et touristiques, mais l'organisation économique soviétique avait fait d'eux des tributaires de vastes kolkhozes d'élevage des rennes, suite à la collectivisation. Son effondrement les a amenés à choisir entre devenir salariés de l'entreprise privée qui a succédé au kolkhoze et chercher à retrouver une autonomie en vivant des ressources du milieu naturel. Pêcher le saumon et chasser la zibeline, dans le respect des quotas, leur procurerait les ressources suffisantes pour vivre dans la forêt. À ceci près que la surexploitation des ressources — y compris le braconnage — pèse sur la durabilité de cette « réponse even aux crises systémiques » pour reprendre le sous-titre de l'essai. À cela vient s'ajouter la proximité d'une énorme exploitation de nickel dont les rejets environnementaux amènent le fils du dernier chaman à attendre passivement la catastrophe inéluctable.

 

C'est donc en passant ses journées au côté de Daria, née juste à la fin de l'époque stalinienne, que l'anthropologue approfondit sa connaissance de l'animisme. Les mythes, les rêves, l'interaction avec les éléments — le feu, l'air, l'eau, la terre — permettent de faire mieux connaissance avec les usages et les croyances de ce peuple even qui s'était installé au Kamtchatka au cours du XIXe siècle. Ceci fait que l'ouvrage sera particulièrement bien accueilli par les amateurs d'anthropologie et notamment les familiers du travail de Philippe Descola, grand inspirateur de Nastassja Martin. En revanche les curieux de géographie et de géopolitique n'y trouveront pas autant leur compte. Une importante bibliographie spécialisée accompagne le volume.

 

 

Nastassja Martin : À l'Est des rêves. Réponses even aux crises systémiques. - Les Empêcheurs de penser en rond (Éditions de la Découverte), septembre 2022, 296 pages.

Tag(s) : #ANTHROPOLOGIE, #ESSAIS, #RUSSIE
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