Minh Tran Huy, romancière familière de la fiction, signe ici un récit réaliste, autobiographique, à mi-chemin entre le témoignage et l’essai documenté. Mère du petit Paul, un enfant autiste sévère, elle relate l’épreuve quotidienne qu’elle a vécue avec son mari Adrien. En contrepoint de l’histoire de leur fils elle narre celle de Temple Grandin, jeune américaine dont l’autisme savant a permis la résilience. Tout au long de l’alternance des chapitres son histoire en progrès s’oppose à l’histoire sans évolution de Paul. C’est un combat sans issue mais sans cesse recommencé pour faire accéder son enfant au langage. C’est le récit émouvant d’une femme déterminée et courageuse, d’une romancière qui souhaite que son livre « informe et alerte, émeuve et serre le cœur ».
Minh Tran Huy ne cesse de chercher sur le Net les caractéristiques de cette maladie ; elle découvre que les autistes refusent le contact humain, ont des crises de colère destructrices, ont peur des autres et du nouveau. Quoi qu’en pensent les psychanalystes les parents ne sont pas responsables de la maladie qui touche leur enfant. Aux autistes « surdoués » s’opposent les autistes polyhandicapés qui n’acquièrent jamais le langage, ceux-la même que les nazis exterminaient. La romancière dénonce à plusieurs reprises le retard de la France dans la prise en charge de la maladie : seulement 20% des enfants autistes vont à l’école. Quant aux institutions, les places y sont rares. Minh Tran Huy et son époux ont eu la chance d’obtenir des aides spécialisées. Mais en vain : Paul n’aura jamais plus que les compétences d’un enfant de dix-huit mois et « devra être surveillé et protégé toute son existence ».
Si les techniques comportementales ont aidé Paul à progresser un peu ce fut au prix de procédures éprouvantes pour le couple au quotidien. « L’autisme nous a à la fois soudés et à jamais éloignés l’un de l’autre ». La souffrance devant leur impuissance prit une dimension tragique : « les chagrins et les peines liés à notre fils avaient dévoré notre énergie et asséché notre relation. » Gérer les crises de Paul, passer des nuits blanches sans pouvoir espérer d’aide familiale ou amicale requérait une énergie considérable. Seules leurs professions faisaient encore sens. Parce qu’elle voulait garder l’espoir que Paul progresse et accède au langage, l’auteure cherchait des cas d’enfants qui avaient réussi à faire leur vie malgré leur handicap. Ainsi Temple Gadin, américaine née en 1947, que sa mère a sauvée, d’instinct grâce à des activités manuelles, sans rien connaître des théories comportementalistes. « Autiste savante » Temple a mené une brillante carrière dans l’industrie de l’élevage et publié son autobiographie pour faire comprendre qu’un autiste n’est pas un « idiot », juste un être humain différent.
Minh Tran Huy a été une mère courageuse jamais récompensée de ses efforts et torturée malgré tout par la culpabilité : « Je suis désolée d’avoir échoué » avoue-t-elle. Désormais, même si « écrire ne sauve de rien, ne change pas le monde », elle dédie son récit à Paul « qui ne lira pas ce livre », qui n’ayant pas eu accès au langage restera « un enfant sans histoire », condamné au silence. Depuis, Paul a eu un petit frère, peut être une deuxième chance pour ce couple fracassé.
Ce livre poignant mais sans pathos informe et émeut ainsi que le souhaitait l’autrice qui a écrit La double vie d'Anna Song — roman chroniqué sur ce site.
• Minh TRAN HUY : Un enfant sans histoire. Actes Sud, 2022, 206 pages.
Lu par Kate