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Arrivée en France, à Saint-Étienne, avec ses parents et sa sœur après la chute de l'URSS en 1991, Polina Panassenko évoque dans ce premier roman, à hauteur de ses yeux d’enfant, sa double vie entre l'année scolaire stéphanoise et les vacances à la datcha près de Moscou avec ses grands parents. Vingt ans plus tard, au tribunal de Montreuil, son avocate se bat pour lui obtenir l’autorisation de mentionner sur son passeport son prénom russe, Polina, et non « Pauline » comme on le lui a imposé.


 

Sous son regard d’enfant l’autobiographie prend les tonalités de l’humour et de la dérision, afin de distancer la douleur de l’exil et l’écartèlement entre deux cultures : entre le français et le russe l’auteure court après son identité.

Elle dénonce la violence de l’intégration qui lui interdit de porter son prénom de naissance. Elle a honte de ce « Pauline » comme sa grand-mère juive Pessoah a eu honte de devoir s’appeler « Paulina » pour protéger ses enfants. La romancière tient à s’appeler Polina pour bien « tenir sa langue » russe. Elle critique aussi l’attitude française envers les émigrés : quand le jeune Jallal, son binôme à Sciences Po, mourut noyé un soir de bizutage à Saint Cyr en 2012, le chef d’état-major de l’armée honora celui qui voulait « rendre à la France un peu de ce qu’elle lui avait donné », ce que l’avocate approuva car « c’est un peu le cas de tous les émigrés » : toujours redevables, jamais vraiment français, même naturalisés.

Petite fille, Polina vivait entre deux mondes : russe à l’intérieur mais « quand on sort on met son Français ». À la materneltchik elle peine à acquérir « la langue de Français » et se retrouve isolée à la récréation auprès d’un petit bègue, Philiptchick... Ne comprenant pas son environnement la petite fille affabule, imagine le russe et le français s’affrontant en duel. C’est drôle mais à force un peu lassant.


 

En revanche on lit avec intérêt les chapitres où Polina raconte ses vacances à la datcha avec son grand-père : ancien combattant de la Grande Guerre Patriotique, il ne garde pas un bon souvenir des soldats français et regrette le départ de sa petite fille ; avec sa grand-mère atteinte de démence qui perd ses mots et ne retient plus sa langue. Dans l’appartement communautaire Polina nous fait aussi découvrir les délices de la cuisine russe.

Mais ce monde est bien perdu pour elle ; sa mère et ses grands-parents y reposent à jamais. Son prénom russe, c’est le dernier maillon de la chaîne qui l’unit à son pays.


 

Loin de tenir sa langue, l’auteure y tient et de nombreux termes russes parsèment le roman. Polina rend bien palpables les difficultés d’une enfant allophone pour maîtriser le Français.

Le style surprend par son insolence mêlée d'humour, de tendresse et de provocation. Soit, c’est original. Mais Polina, loin de taire sa langue française, s’étourdit dans ce manège linguistique, se perd en élucubrations parfois obscures, ce qui donne au lecteur une sensation de vertige. On aurait envie parfois de lui suggérer de « tenir sa langue »...


 

Polina Panassenko : Tenir sa langue. - Éditions de l'Olivier, 2022, 185 pages.

 

Roman chroniqué par Kate

 

Née à Moscou en 1989, Polina Panassenko a publié en 2015 Polina Grigorievna, une enquête illustrée, chez Objet Livre. Elle a été lauréate des Ateliers Médicis en 2018, a travaillé comme traductrice et comédienne. Tenir sa langue est son premier roman.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #RUSSIE
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