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Si on vous dit « Joëlle Aubron » ou « Nathalie Ménigon », est-ce que ça vous rappelle quelque chose ? Cherchez bien ! Oui, deux membres d'un commando d'Action Directe principalement connu pour avoir assassiné Georges Besse, le patron de Renault, en 1986. Ce groupuscule mené par Jean Marc Rouillan a semé la terreur en France dans les années 1979-1988 au nom d'un prétendu idéal révolutionnaire au moment même où “le peuple de gauche” lui tournait le dos en élisant Mitterrand pour changer la vie. Ce sont ces hommes et ces femmes d'Action Directe — encore un peu clandestins et cachés — que Monica Sabolo a choisis pour « un projet de livre facile ».

 

Au lieu de quoi elle a écrit le récit complexe de l'impossibilité d'écrire un roman balzacien sur ce sujet, et en même temps livré des tranches d'autobiographie qui rapprochent son parcours personnel de la clandestinité des membres dont elle devait raconter par le menu l'aventure criminelle et dessiner le profil psychologique. Le regard objectif, tout de verticalité, vacille très vite.

 

Elle se documente, oh que oui ! mais ce n'est pas un travail académique qui en résulte, juste une enquête erratique faite de plongées dans les vieux numéros de Paris Match, et dans les témoignages des policiers et les écrits de J.M. Rouillan. Gommant ses réticences ou les leurs, elle réussit à rencontrer des survivants du groupuscule, les écouter, et c'est pour constater la fêlure de l'une ou encore la générosité d'une autre ou encore la sensibilité et la simplicité d'autres retraités de la subversion — la mémoire des uns ne s'accordant pas toujours à la mémoire des autres. La mémoire se nourrit aussi de photographies, mêlant celles des clandestins à celle de sa famille, comme la narratrice enfant avec sa mère, en bandeau du livre, une mère qui s'était enfuie, la laissant face au monstre paternel.

 

Ces recherches et ces rencontres amènent la narratrice à étaler progressivement son malaise personnel, à revenir sur son trauma identitaire elle qui ne connaît pas son père biologique et dont le père adoptif — qui l'a abusée sexuellement — a aussi tenté d'étrangler sa mère et l'a bombardée de statuettes précolombiennes avant de prendre le large et rejoindre ainsi une sorte de clandestinité, renouant avec un passé louche.

 

Voilà donc un livre sans pareil, un livre très réussi, qui s'apparente successivement au roman, à l'autobiographie, à la confession, à l'enquête journalistique, à l'essai historique, au recueil de pensées. Et qui est le miroir dramatique de toute une époque— à Milan, à Genève, à Paris. Le temps qui passe pousse au pardon et le temps qui ne passe pas empêche l'oubli d'achever son œuvre.

 

Monica Sabolo : La Vie clandestine. Gallimard, 2022, 318 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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