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Ce roman autobiographique écrit voici plus de vingt ans permet de comprendre l’origine de cette rancœur de Léonora Miano à l’égard  de la France qui a colonisé l’Afrique et méprise « ses enfants qui vivent sur son sol ». Ce leitmotiv dans l’œuvre de la romancière prend ici sa source. Coupant, émaillé de métaphores, jouant sur tous les registres, son style avait déjà la rage. Mais si Léonora Miano ne publie ce roman qu’à la cinquantaine c’est « après avoir prouvé de quoi elle était capable », pour ne pas être «  la SDF qui écrit des livres ».  

 

Car l’auteur a vécu la vie des SDF. Issue de l’élite camerounaise, scolarisée en Français, elle a aimé trop tôt. À vingt ans « la passion a dominé la raison ». Enceinte de son petit ami elle interrompit ses études supérieures et tous deux s’enfuirent à Paris, vivant d’hôtel en hôtel jusqu’à ce que Louise, (deuxième prénom de Léonora ) le quitte et parte avec Bliss, leur fille d’un an, pour plonger dans l’errance. Mais « une maternité inattendue peut-être une expérience fondatrice ». Elle le fut. C’est pour cette enfant que l’auteur a lutté, n’ayant pour consolation que les livres de poésie dans son sac de marin et les lettres de sa grand mère maternelle, Mbambé, qui l’appelait « poussière d’étoiles » (Stardust), et l’a toujours soutenue. Louise a vécu dans les marges de la société, parmi ces sans-abri que la France ne veut pas voir. Une assistante sociale compatissante l’a envoyée à Crimée, un CHRS  (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale) dans le 19ème arrondissement. Étant toujours inscrite à l’université qui lui délivra un certificat de prise en charge, elle n’était pas menacée d’expulsion. D’ailleurs elle ne pouvait ni ne voulait retourner au Cameroun où elle aurait « nui à l’image sociale de la famille ».

 

En outre, ses parents ne lui ayant fait connaître que la littérature française Louise ignorait les auteurs caribéens et afro-américains, son ancrage. Elle restait donc « sans appartenance territoriale » : l’écriture sera sa planche de salut. « Tu es une warrior !» lui avait affirmé cette assistante sociale. Mais durant l’été et l’automne 1996 il lui fallut loger à Crimée avec des femmes ultramarines, subsahariennes et maghrébines battues, violées, abandonnées., toutes « à la marge ». Pour « préserver sa conscience d’elle même » Louise se composa « une figure farouche et hermétique » et se tint à distance, même si elle vivait au quotidien la souffrance, la drogue, la promiscuité et le manque d’hygiène ; la mort s’y invitait aussi car on ne se reconstruit pas au CHRS, on y passe seulement.

 

Louise désespérée songea elle aussi au suicide mais l’affection de Bliss lui évita  de commettre l’irréparable. « Quoi que Crimée fasse d’elle, elle vivra pour tout dire », dire à quel point la France a menti à ces femmes qui devaient devenir des êtres modernes, « et stagnent dans une France souterraine », dans les marges de ce pays où l’on n’enseigne pas l’esclavage ni la colonisation,  ce pays qui « n’aime l’égalité et la fraternité que sur le papier ». Louise ne peut excuser cette France qui a menti aux colonisés en leur cachant l’exclusion sociale de leurs enfants marginalisés et refoulés.

 

 

Finalement réinsérée Louise a quitté le CHRS, mais toutes ces femmes qu’elle a côtoyées, elles, y resteront. Léonora Miano leur a dédié ce roman, pour les sortir des marges le temps d’une vie de papier. Pour qui connaît l’œuvre de la romancière, celui-ci ne sera pas le moins  émouvant, avec toujours la rage en point d’orgue.


 

• Léonora Miano : Stardust. Grasset, 2022, 214 pages.

Chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #CAMEROUN
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