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Retour à Pointe-Noire pour ce nouveau titre, mais sans Petit-Piment, qui laisse ici sa place de héros de roman à un jeune cuisinier adepte de la sape, Liwa Ekimakingaï, qui a été élevé par sa grand-mère Mâ Lembé au quartier Trois-Cents que l'on connaît bien depuis Verre cassé. Sa mère est morte en lui donnant le jour. Mâ Lembé s'est donné du mal pour ce garçon dont les jeux d'enfant turbulent s'inspiraient des Aventures de Tom Sawyer.
Les années ont passé. Le gamin devenu grand fréquente désormais les filles du quartier Rex en cachette de sa grand-mère. Arrive le 15 août ; c'est la fête de l'Indépendance et le jeune cuisinier du Victory Palace s'est habillé chic pour aller à la discothèque Le Cérémonial. C'est là qu'il rencontre pour de longues rumbas la belle Adeline dans sa robe noire en dentelle. Mais cela le lecteur l'apprendra plus tard, ainsi que la cascade d'événements qui en découleront, car au départ nous voici au cimetière du Frère-Lachaise où Liwa sort violemment de sa tombe et de son beau cercueil fabriqué par le menuisier Mompéro, homonyme d'un personnage de Verre cassé. Liwa est habillé comme sur la couverture du livre illustrée par Loustal. Il porte une veste rouge aux manches un peu courtes d'où dépassent les poignets mousquetaires d'une chemise d'un vert éclatant au col fermé d'un nœud papillon blanc un peu de travers. Il porte aussi un « pantalon violet à pattes d'éléphant sur des Salamander rouges vernissées avec des lacets blancs ». On reconnaît là l'intérêt de l'auteur pour la sape des élégants de son pays.
Liwa revoit son enterrement avant de partir en ville pour revoir son quartier, sa maison, et Mâ Lambé qu'entourent pour la cérémonie des obsèques ses copines du Grand-Marché, et les chanteuses-danseuses-pleureuses, venues des quatre coins du pays. Des morts du cimetière du Frère-Lachaise tentent de dissuader Liwa de retourner en ville pour opérer une possible vengeance qui ne s'éclairera que dans la troisième partie du roman, après plusieurs épisodes de contes dans le cimetière où défilent de bien singuliers personnages...
Liwa est ainsi abordé par Mamba noir le responsable des lieux, par Lully Madeira, chanteur et musicien qui a voué son âme aux diables pour connaître le succès, par Papa Bonheur, jadis pasteur de l'église pentecôtiste Grâce à Dieu du quartier Rex, coureur de jupons et meurtrier d'une jeune albinos, ou encore par Prosper Milandou, ancien DRH à Paris, qui discute avec lui des inscriptions des pierres tombales problématiques comme celle-ci : « À notre sœur aimée, que son âne repose en paix ». Milandou lui raconte aussi comment le politicien arriviste Julien Ndoki a empoisonné des jumeaux qui n'étaient autres que sa nièce et son neveu. Un même procédé a valu à Liwa sa « mal mort ».
Ce roman, écrit pour l'essentiel à la deuxième personne du singulier en tutoyant Liwa Ekimakingaï, fait largement appel au conte. Cela permet la critique mêlée d'ironie d'un monde inégalitaire de la naissance jusqu'au-delà de la mort car le cimetière des Riches est bien distinct de celui des Pauvres. Le pouvoir politique corrompu et les abus du pouvoir religieux sont particulièrement visés. Le président Papa Mokonzi Ayé surnommé Zarathoustra a accédé au pouvoir par un coup d'état militaire. Il a judicieusement modifié la Constitution pour qu'il n'y ait pas d'élection avant sa mort. Le pasteur Papa Bonheur engrosse en série les filles à peine pubères de sa paroisse. Guérisseurs, féticheurs et les sorciers des deux sexes pullulent. Telle Angelou qui est attachée au service d'Augustin Biampandou, vieil ami du président. « La sorcière était là également pour soutenir et conseiller le protégé dans les décisions qu'il aurait à prendre et qui pourraient changer le cours de son existence ». C'est ainsi que pour devenir directeur du port à la place du fils du président, Augustin Biampandou a fait assassiner sa fille Samantha, née d'une « maman Zaïre », une prostituée du quartier Trois-Cents venue du pays voisin et qu'il a bien sûr rejetée. Mais sous le nom d'Adeline, Samantha va retrouver Liwa pour exercer sa vengeance. Les voilà unis pour l'éternité.
Le commerce des Allongés cache donc aussi un conte moral ! C'est peut-être le plus complexe et le plus riche des romans d'Alain Mabanckou. Rien moins qu'un événement !
• Alain Mabanckou : Le commerce des Allongés. Seuil, 2022, 289 pages.