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Natif du Cap en 1940, J.M. Coetzee a publié de nombreux romans et s'est vu décerner le Nobel de Littérature en 2003. En attendant les barbares avait été écrit une vingtaine d'années auparavant, en pleine violence du régime d'apartheid. C'est la raison pour laquelle bien des commentateurs ont vu dans ce roman une protestation à peine voilée contre le régime sud-africain de cette époque. En réalité, à lire attentivement ce roman, force est de constater que J.M. Coetzee se situe sur un plan plus général. Il dénonce ainsi l'idée d'Empire dans son principe et ses applications, telles l'accumulation des conquêtes, la propension à considérer les peuples voisins en inférieurs, le déchaînement de la violence soldatesque et policière, incarnée ici par le colonel Joll face au Magistrat qui est aussi le narrateur.

 

Le Magistrat — on saura seulement de lui qu'il appartient à une famille influente — gouverne, en homme soucieux du droit, une cité fortifiée sur les Marches de l'Empire. Le gouvernement central, protégé par « le portail de bronze du Palais d’Été » (p.216), souhaite étendre sa domination territoriale et soumettre les barbares qui nomadisent dans le désert à ses frontières occidentales. L'administration pacifique du Magistrat se retrouve ainsi invalidée par l'arrivée du glaçant colonel Joll, au nom « du Troisième Bureau [qui] constitue la section la plus importante de la Garde Civile ». Pour Joll l'humanisme, le respect du droit, le respect des personnes, ne sont que billevesées. C'est un soudard autoritaire qui s'appuie sur une soldatesque bien décidée à triompher. Cedant arma togae disaient les Romains. Faire des prisonniers au moyen de razzias, les torturer pour obtenir des informations avant de partir en expédition pour exterminer les barbares : c'est ainsi que Joll voit sa mission.

 

Effectivement, au retour d'une razzia, Joll ramène des prisonniers et les livre à la torture. Certains prisonniers meurent de mauvais traitements. Une jeune fille en sort les pieds brisés, et quasiment aveugle. Le Magistrat la prend en pitié, la soigne, l'installe avec le personnel de la cité et en fait sa maîtresse, sans que le désir sexuel soit pleinement partagé. Aux yeux de Joll, le Magistrat aggrave son cas en montant une expédition vers les terres des barbares pour leur remettre cette jeune personne qui n'a pas de nom dans le roman. N'a-t-il pas cherché à trahir l'Empire en s'abouchant avec ses ennemis ? De toute manière il a déserté en quittant son poste sans autorisation. Voilà donc le Magistrat prisonnier, torturé à son tour, soumis à un simulacre de pendaison, mais jamais jugé. Peu à peu, de l'état de prisonnier il devient une sorte de clochard, de sous-homme, qui traîne dans la cour de la caserne et dont la population se moque.

 

Mais après une nouvelle expédition conquérante, Joll reviendra sans gloire avec les restes d'une armée battue par les barbares, et quittera la cité laissant les barbares menacer l'avant-poste de l'Empire. Le Magistrat retrouve alors son bureau, son appartement, et ses tablettes archéologiques témoignant d'une écriture inconnue, espérant même le retour des barbares, avec — pourquoi pas — une certaine jeune femme à la tête de leur cavalerie.

 

Ce roman quoique écrit dans un style austère — il est tentant d'y retrouver le milieu calviniste d'où est issu J.M. Coetzee — est finalement fort prenant. Le Magistrat est pourtant loin de nous apparaître comme un personnage séduisant et les pulsions érotiques auxquelles sa prisonnière reste souvent indifférente n'en font pas pour autant un sympathique don Juan. Pourtant on est attiré par sa constance envers le droit et le respect des individus victimes de l'injustice incarnée par Joll et ses sbires. En même temps, le Magistrat semble quelquefois douter de lui, ébloui par la capacité de Joll à faire le mal sur ordre et sans s'émouvoir. « J'étais le mensonge que l'Empire se raconte quand les temps sont favorables, et lui la vérité que l'Empire proclame quand soufflent des vents mauvais. » Mais finalement pour le Magistrat les plus barbares sont ceux qui recourent à la torture au nom de la civilisation.

 

John Maxwell Coetzee : En attendant les barbares. Traduit de l'anglais par Sophie Mayoux. Éditions du Seuil, 1987. - Points, 2000, 248 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ANGLAISE, #AFRIQUE DU SUD
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