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L'époque était inventive en matière d'art romanesque : en 1931 Les Vagues, suivent de peu l'Ulysse de Joyce (1922) et Le bruit et la fureur de Faulkner (1929). Virginia Woolf y met en cause les principes traditionnels de la narration, poussant à l'extrême sa théorie : plus de narrateur, plus d'intrigue ! Qualifié de roman expérimental vingt ans avant le Nouveau Roman, Les Vagues est une œuvre complexe qui tient à la fois du roman de la poésie et de la confession.

 

Le texte se compose de neuf suites de monologues. Non numérotées, ces séquences sont encadrées de poétiques descriptions consacrées à la course diurne du soleil, aux effets de sa lumière sur la succession des vagues et sur les arbres et les fleurs d'un jardin. Depuis « Le soleil ne s'était pas encore levé » jusqu'à « le soleil s'était enfin couché » ces interludes jalonnent à la manière d'une métaphore la vie des personnages, de l'aube au crépuscule. Virginia Woolf dispose six personnages principaux d'une façon inédite puis que leurs six voix se succèdent sans dialoguer, dans des scènes allant de l'enfance au collège et de l'université à l'âge mûr. Un tiret, simplement, montre qu'une nouvelle voix prend le relai, comme une nouvelle vague aborde le rivage. Pas de dialogues, mais des flux de conscience, des monologues intérieurs. Seule, la dernière séquence — de loin la plus longue — est le monologue d'un seul des personnages, comme un bilan de leurs vies à tous. Son intervention finale commence ainsi : « C'est le moment de faire l'addition (…) et de vous expliquer le sens de ma vie ». Mais y parvient-il vraiment ?

 

Ces voix appartiennent donc à six personnages, trois du genre féminin — Suzanne, Rhoda et Jinny — et trois du genre masculin, Bernard, Neville et Louis. Vers le milieu du livre apparaît un septième personnage, Percival. Sans s'exprimer lui-même il est uniquement présent dans les monologues des autres — en particulier à l'occasion d'un repas partagé. Tous l'ont admiré. Bientôt ils déplorent sa perte, puisqu'il meurt d'une chute de cheval, loin de l'Angleterre, là-bas aux Indes. On ne sait pas les raisons exactes de son départ pour la perle de l'empire, ni les raisons exactes de leur admiration qui le transforme en une sorte de héros charismatique, l'image de ce qu'ils ne seront pas. Ainsi tel autre personnage se contente se rêver aux berges du Nil, aux femmes qui portent une cruche sur la tête, et l'image revient comme un leitmotiv remarquable.

Léon-Adolphe Belly - Femmes fellahs au bord du Nil - 1856

 

Autre leitmotiv, le baiser que Jinny donne à Louis alors qu'ils sont encore des gamins surveillés dans un pensionnat. Louis est le fils d'un banquier de Brisbane et son accent australien forme un autre élément récurrent. Plus tard Louis devient un cadre important d'une compagnie de navigation. Au cours de la lecture, on ne peut s'empêcher de s'ingénier à reconstituer les vies de chacun, mais il est impossible d'aller bien loin, car on n'a que des bribes d'histoires individuelles inachevées et de surcroit l'enfance et l'adolescence tiennent plus de place que le destin des personnages adultes. L'intention de Virginia Woolf n'est clairement pas de montrer un faisceau de biographies de Britanniques à l'apogée de l'empire...

 

Néanmoins on retient que Bernand et Suzanne sont les plus actifs, les plus prolixes : les interventions des autres paraissent relativement moindres. Si Bernard est un amateur de littérature, un conteur, un poète qui se prend pour Byron, Neville est plutôt porté sur les hommes. Si Rhoda semble, elle, assez solitaire, Jinny est une fille frivole préoccupée de sa beauté et attirée par les lumières de la ville. Suzanne est de tous la plus proche de la nature ; enracinée dans la campagne elle épousera un gentleman farmer plutôt que Bernard. On la voit un sécateur à la main cueillir les fleurs de son jardin — doux tableau qui pousse à la nostalgie d'une Angleterre heureuse.

 

Un livre à lire et à relire...

 

 

Virginia Woolf : Les Vagues. ("The Waves"), 1931. Traduit par Marguerite Yourcenar. Livre de Poche, 1993, 284 pages, réédité en 2022. Il existe deux autres traductions, par Michel Cusin en folio classique et enfin par Cécile Waljsbrot aux éditions Le bruit du Temps, 2020, avec une préface de Mona Ozouf.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ANGLAISE
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