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Quinze années de recherche ont permis à Antoine Compagnon de comprendre comment les Juifs avaient réagi à la lecture de À la recherche du temps perdu dans les années 1920. Ce qui lui importait, c’était « de réfuter l’idée de plus en plus reçue qui voit de l’antisémitisme ou de la judéophobie dans la représentation des Juifs par Proust. » Même de nos jours cette idée persiste : on juge Proust d’après nos sensibilités actuelles : selon Compagnon, le considérer comme un antisémite est un anachronisme.
 

Toute l’enquête s’est fondée sur une phrase énigmatique de Proust âgé dans une lettre à Halévy, son camarade de lycée : « Il n’y a plus personne, pas même moi, puisque je ne puis me lever, qui aille visiter, le long de la rue du Repos, le petit cimetière juif où mon grand-père, suivant le rite qu’il n’avait jamais compris, allait tous les ans poser un caillou sur la tombe de ses parents ».

 

L’auteur a suivi deux pistes ; d’une part la réaction de la presse consistoriale et des jeunes sionistes à la lecture du roman ; d’autre part l’importance symbolique du caveau de la famille maternelle de Proust, au Père Lachaise, où son grand père Nathé Weil l’emmenait promener enfant.  A. Compagnon a dépouillé nombre d’articles de journalistes des années 20 et a remarqué qu’aucun universitaire ne s’est alors intéressé à la judéité de Proust. C’est A. Spire, journaliste à la Revue juive qui fut le premier à aborder la question. On a très tôt rapproché Proust de Montaigne, juif par sa mère : même style et même type de pensée. Cette hérédité maternelle commune est apparue après la mort de Proust comme un euphémisme de sa judéité. C’est d’ailleurs André Gide qui déclarait en privé, évoquant la souplesse de l’écriture proustienne... « je pourrais dire que c’est juif. Chose curieuse, il a justement le même degré d’hérédité que Montaigne ». Signe de l’antisémitisme du milieu littéraire parisien, c’est cette méfiance de la littérature juive qui a poussé Gide à refuser d’éditer la Recherche à la NRF.

 

Collègue d’André Spire, Denis Saurat affirmait que « le style proustien est le style du rabbin ». Dès 1927 les non-juifs exagérèrent le « judaïsme proustien » et les Juifs nièrent toute influence de son « origine hébraïque » dans La Recherche. Pour A. Compagnon ces différents points de vue reflétaient « l’idée que chaque intervenant se fait du judaïsme et de sa propre identité juive pour les critiques juifs ». À partir de 1930 on assista à un retournement de l’opinion chez les catholiques et les juifs avec la remontée de l’antisémitisme.

 

Néanmoins Proust ne laisse pas d’ambiguïté : « Je n’étais pas juif et je ne le voulais pas » écrivait-il à Robert Dreyfus. À l’opposé du jugement d’Hannah Arendt dans Les origines du totalitarisme, Proust ne fut pas « le plus grand témoin du judaïsme dé-judaïsé « ni le « représentant exemplaire » du milieu israélite français.

 

Au terme de ses recherches, l’auteur conclut que le style et le mode de pensée de Proust portent certes « les marques de son origine hébraïque » mais qu’elles ne constituent pas le fondement de son œuvre magistrale.

 

Grâce à ce remarquable travail d’enquête, A. Compagnon nous permet de prendre la mesure de la critique littéraire dans les années 1920. De nombreuses illustrations, dont des passages de manuscrits, contribuent à nous immerger dans cette époque. Une mine d'informations !
 

• Antoine Compagnon : Proust du côté juif. - Gallimard, Bibliothèque illustrée des Histoires. 2022, 424 pages.

Chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #ESSAIS
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