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Dans cette série d’émissions diffusées en 2014 sur France Inter, Antoine Compagnon a proposé de passer « un été avec  Baudelaire », « à sauts et à gambades, sans souci de tout dire, cherchant à reconduire le plus grand nombre dans les librairies afin qu’ils retrouvent le chemin des Fleurs du Mal et du Spleen de Paris ».

Y est-il parvenu ?

Si Baudelaire n’apparaît « pas sympathique » et tout en contradictions, Antoine Compagnon invite à le comprendre sans le juger. C’est un homme blessé, chantre du regret, de son enfance, de ces rivages exotiques trop vite évanouis. À l’inverse des philosophes des Lumières, pour Baudelaire l’homme n’est pas bon par nature, il porte en lui le péché originel ; la femme pire encore car plus proche de la nature. Le poète partageait d’ailleurs sa misogynie avec la plupart des écrivains de son temps. Il détestait le progrès, le monde moderne, matérialiste et changeant où tout, même une œuvre d’art, devenait une marchandise périssable : Baudelaire voyait venir le marché de l’art... 

Il détestait le nouveau Paris d’Haussman autant que les journaux, signe de décadence spirituelle, et la photographie au réalisme bassement matérialiste. Pourtant Paris restait sa drogue, et les journaux autant que  son ami Nadar bâtissaient sa célébrité !

Baudelaire cherchait à déplaire, à provoquer ses contemporains pour les faire réagir. Adversaire de la démocratie, il les a provoqués, comme le symbolise ce mendiant qu’il agressa sans raison dans  Assommons les pauvres pour les détacher du matérialisme avilissant. Néanmoins, Baudelaire n’était pas sans cœur : à preuve sa compassion pour les exilés, les exclus ses semblables, tel Le vieux saltimbanque. À preuve également, son attachement à Mariette, la « servante au grand coeur » qui lui offrit l’affection que sa mère, distante, ne lui prodiguait guère. Contradictoire, on ne peut réduire Baudelaire à l’image d’un dandy jouisseur comme l’a peint Teulé dans Crénom Baudelaire. Soucieux de sa toilette et de son langage provoquant, ce dilettante déclassé, anarchiste, cultivait l’artifice pour masquer sa nature humaine sordide — tout comme  la femme avec le maquillage. Mais seule la femme idéalisée pouvait incarner la beauté et l’amour. Tel l’albatros  sur le pont du navire, Baudelaire n’avait pas sa place dans le monde moderne : hanté par le désespoir d’exister, il tentait de survivre par ses œuvres, seul refuge et remède à son spleen. Lui qui peinait tant à se mettre au travail a peu produit mais demeure aujourd’hui, selon A. Compagnon,  le plus grand poète français devant Victor Hugo. Il aurait inventé la modernité, amalgame de « haine et d’amour, d’engagement et de résistance »... Peut-être, mais son écriture restait très classique, ce que lui reprocha Arthur Rimbaud.

Si l’auteur montre bien en quoi Baudelaire demeure « irréductible à toute simplification », il reste assez évasif sur les raisons de lire encore ses œuvres de nos jours : si le poète a enchanté l’adolescence d’Antoine Compagnon, qu’en est-il pour les jeunes  2.0 ? Sont-ils sensibles à la force de l’écriture poétique, en vers ou en prose, autant qu’aux images, aux synesthésies puissantes et suggestives ? Le poète les convainc-t-il de voir en la mer plus qu’un divertissement ?

 

Antoine Compagnon : Un été avec Baudelaire. - Équateurs / France inter. 2015, 169 pages.

 

Chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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