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C'est le point de vue d'une juriste sur l'histoire du blasphème. L'auteure remonte à la Bible et examine les différentes étapes de l'histoire de la répression du blasphème, mais sans donner de place à l'histoire des mentalités et de la sensibilité ce qui en limite l'intérêt pour les amateurs d'histoire culturelle et des civilisations.

 

Le blasphème — paroles ou images contre la divinité ou le sacré — voisine avec le parjure, le sacrilège, la profanation et l'hérésie. C'est "une construction à géométrie variable" nous dit l'auteure. Le terme vient de la Bible, ou plus exactement du texte grec repris en latin. Dans le Lévitique (24,16) le blasphémateur est puni par la lapidation. Dans l'Occident devenu chrétien le blasphème est d'abord un péché qui doit être pardonné et il n'entraîne de sanctions graves qu'à partir du XIIe siècle avec la réforme grégorienne dont les Dictatus papae de Grégoire VII en 1073 marquent le tout début. Les sanctions religieuses se complètent alors de sanctions temporelles. En 1231 Grégoire IX crée l'Inquisition pour combattre les hérétiques et toutes les personnes considérées comme déviantes : sorciers, bigames, fornicateurs, sodomites et blasphémateurs. En 1566, après le concile de Trente, Pie VI publie un dernier texte punissant le blasphème non de la mort mais du fouet, du pilori, de l'ablation de la langue ou de l'exil.

 

La monarchie de son côté s'est emparée du combat contre le blasphème dès lors que le pouvoir royal s'est considéré comme sacré. Il devient un crime plus important qu'il n'était pour l’Église qui le tenant pour un péché le sanctionnait de pénitences ou d'excommunication : ainsi naît le crime de lèse-majesté. La Grande Ordonnance de Louis IX en 1254 modifiée en 1263 prévoit le marquage au fer rouge, la mutilation de la langue... De nombreuses autres ordonnances royales suivent : Louis XIV rétablit les mutilations de la langue en 1666 peu après la représentation du Tartuffe et du Dom Juan de Molière. La dernière ordonnance de l'Ancien Régime sur ce sujet est celle de Louis XV en 1727. En 1766 le chevalier de La Barre est décapité à vingt ans pour avoir refusé de se découvrir au passage du Saint-Sacrement lors de la Fête-Dieu. Par réaction, les Lumières luttent alors contre la criminalisation du blasphème en attendant que la France révolutionnaire n'abolisse le délit de blasphème le 25 septembre 1791, premier Etat à s'engager dans cette voie. Mais sous la Restauration la loi du17 mai 1819 réintroduit l'offense au roi et l'outrage à la morale publique. Le Second Empire s'en prend ainsi à Flaubert, à Baudelaire et à Proudhon avant que la IIIe République ne vote la fameuse loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.

 

En 1905 la République est devenue laïque et séparée de l’Église et personne n'a été condamné pour blasphème en France depuis lors. Simplement la liberté religieuse et la liberté d'expression continuent de s'opposer ; l'une réclamant une protection contre la diffamation, l'autre insistant sur son droit de critiquer et caricaturer la religion. Ainsi la loi Pleven du 1er juillet 1972 ou la loi Gayssot du 13 juillet 1990 peuvent-elles être utilisée pour tenter de réintroduire l'infraction de blasphème. Exemple, la plainte pour provocation et injure déposée par des association musulmanes contre Michel Houellebecq suite à un entretien au magazine Lire où il qualifie l'islam de « religion la plus con ». L'écrivain a été relaxé : critiquer la religion n'étant pas la même chose que d'insulter ses adeptes.

 

Le texte du Coran ignore le blasphème, mais la civilisation musulmane l'a pourtant intégré à ses croyances. Ainsi, à l'exemple du Pakistan, plusieurs pays continuent de considérer le blasphème comme un crime et en font un instrument politique contre les Occidentaux. Au niveau européen une position nuancée — sinon hypocrite — est attribuée à la Cour Européenne des Droits de l'Homme car le concept retenu de « préservation de la paix religieuse » peut à la limite justifier une sanction du blasphème sans en prononcer le nom. Dans l'ensemble, si toutes les institutions européennes soutiennent prioritairement la liberté d'expression, chaque État membre conserve le pouvoir d'adapter sa législation.

 

Sylvia Preuss-Laussinotte - Une histoire du blasphème en France. Éditions Marie B., 2021, 137 pages.

 

 

Tag(s) : #HISTOIRE GENERALE, #SOCIETE, #RELIGION
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