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Le roman se passe dans la province russe, au bord de la Volga. Jakob Bach est le Schulmeister, l'instituteur du village de Gnadenthal, c'est juste avant la guerre de 1914. Un fermier allemand habitant l'autre rive, Udo Grimm, fait appel à lui pour enseigner à sa fille Klara un niveau culturel suffisant pour la marier au pays. Car, selon son père, « elle a que des fadaises dans la tête ! Des contes de fées et des caprices de bonne femme ». Alors tous les jours, Bach traverse la Volga dans la barque de Kaysar l'employé kirghiz du colon. Tout part de là...

 

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Assez rapidement, Jakob Bach fait l'expérience de la joie d'enseigner à Klara même si celle-ci reste cachée derrière son paravent. Il l'initie à Goethe et aux grands auteurs allemands. En retour elle lui apprendra tous les contes traditionnels jadis sortis de la bouche de sa vieille servante. Quand Udo Grimm décide de rentrer en Allemagne à la fin de la guerre, sa fille parvient à lui échapper en gare de Saratov et à rejoindre Bach dans sa maison de Gnadenthal. Bientôt le couple s'installe dans la ferme sur la rive occidentale et file le parfait amour dans un petit paradis verdoyant.

 

Mais la guerre civile génère des troubles jusque dans ces campagnes reculées ; une petite bande armée surgit, Bach est ficelé et Klara violée. Sous le choc Bach devient et restera muet. Neuf mois plus tard, Klara meurt peu après avoir mis au monde une petite fille : Bach va devoir élever seul la petite Anna, alias Anntche. Le lait de chèvre du kolkhoze du village que dirige Hoffmann permet à la petite fille de vivre ses premiers mois. C'est dans cette période délicate que Bach et Hoffmann se livrent à un commerce peu courant. Hoffmann qui a été attiré par la révolution au point de quitter son pays natal, ne connaît rien aux usages des Allemands de la Volga. Bach doit tout lui apprendre : leurs proverbes, leurs coutumes, et puis les contes que Klara a récités. Hoffmann donne le papier et le crayon. Bach retourne à sa ferme, se met au travail, retraverse le fleuve et rend sa copie. Ainsi gagne-t-il de quoi nourrir sa « fille ». Les textes de Bach sont publiés dans la presse bolchevique locale, juste retouchés par Hoffmann pour leur donner une conclusion, une morale, conformes à la ligne du parti. Et bientôt Bach s'imagine que ses contes prédisent l'avenir heureux ou malheureux des villageois de la Volga.

 

Boris Kustodiev - Sur la Volga - 1906

 

En effet, le long du cours inférieur de la Volga, des colons allemands avaient jadis été installés à l'appel de Catherine II, créant des dizaines de villages sur des terres que parcouraient jusqu'alors les nomades kirghizes et kazakhs. Ces colons résistèrent à l'assimilation gardant leur langue et leurs églises. Puis vinrent la Première guerre mondiale et la Révolution bolchevique. Les Allemands de la Volga qui résident dans ces villages sont affectés par les différentes phases de la Révolution — comme ailleurs en Russie. À Gnadenthal les pillages ciblent les fermes et les maisons des riches, les lieux sont dépeuplées par la guerre civile et par la famine qui règne au début des années 1920. Bach découvre ces images de désastre et se réfugie impuissant dans sa ferme.

 

 

Des épisodes de la vie de Lénine et Staline forment contrepoint aux aventures de Bach. On voit Staline passer au chevet de Lénine. Plus tard, « il » visite la région devenue République autonome ; « il » est devenu un géant entouré de nains. Le grand chef apprend aussi le billard avec un moniteur qui aspire à lui donner plus d'audace. Staline a peur de la collusion de ses compatriotes avec l'étranger — à commencer par les Allemands de la Volga... — et les déportations et purges criminelles sont lancées. Quelques années plus tôt, la collectivisation forcée avait provoqué la réaction des villageois de Gnadenthal : ils s'en étaient pris aux cadres communistes et avaient accompagné Hoffmann, nu, jusqu'à la Volga pour qu'il y disparaisse. Mais Bach s'est tenu à l'écart de ces tourmentes. Simplement, les échos qu'il perçoit des événements lui donnent des arguments pour nommer les années qui se succèdent. Exemple : 1931, Année du Grand Mensonge — ce qui m'évoque le fameux texte anti-stalinien d'Anton Ciliga paru en 1938.

 

Mikhail Vassiliev Nesterov - Au-delà de la Volga - 1905 - Galerie d’État, Astrakhan

 

La ferme des Grimm est devenue une sorte de petit paradis isolé du « vaste monde ». Anntche grandit tandis que s'empilent les pommes que Bach récolte dans les vergers plantés par le père de Klara. Mais voici qu'arrive inopinément à la ferme un gamin rendu orphelin et maraudeur par l'époque troublée. C'est Vasska - diminutif de Vassili. Après bien des tensions, une cohabitation s'installe et Bach en vient à accepter le garçon comme un compagnon pour celle qu'il a élevée comme si elle était sa fille. Victoire de Vasska : il parvient à faire sortir Anntche de son mutisme.

 

La Volga est — si l'on peut dire — un autre personnage capital du roman avec les moments critiques que sont l'embâcle et la débâcle, d'autant que Bach est souvent amené à traverser le fleuve : soit à pied, soit en barque, pour rejoindre Gnadenthal. La traversée prend une tournure épique le jour où Bach doit traverser à pied le fleuve alors que commence sa débâcle. On atteint le réalisme magique quand Bach tombé dans le fleuve croit voir, au fond de l'eau, et avant d'être repêché, un hallucinant résumé des épreuves subies par les Allemands de la Volga.

 

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Dans ce roman très original — qui prend par moments l'allure d'un huis-clos — les événements se succèdent dans une narration lente qui laisse toute leur place aux descriptions de la nature, mais telle n'est pas la finalité de cette œuvre. Elle est plutôt dans la confrontation de deux personnalités opposées : Bach le pacifique, Staline le guerrier. Quant à l'épilogue, il me semble qu'on aurait pu s'en passer pour garder une fin ouverte.

 

 

Gouzel Iakhina - Les enfants de la Volga. Traduit du russe par Maud Mabilliard. Éditions Noir sur Blanc, 2021, 505 pages.

 

Originaire de Kazan au Tatarstan, où elle est née en 1977, la romancière au prénom tatar a aussi eu des ancêtres parmi les Allemands de la Volga. Elle a connu un succès international dès son premier roman Zouleikha ouvre les yeux paru chez Noir sur Blanc en 2017 et désormais en poche chez Libretto. Les Enfants de la Volga, son deuxième roman, a reçu le Prix du Meilleur Livre Etranger en 2021.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE RUSSE
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