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Les douze nouvelles regroupées sous le titre thématique Propriétés privées évoluent dans un univers anglo-américain et urbain dans la plupart des cas. L'auteure explore ici les pulsions liées à l'instinct de propriété. Elle explore particulièrement les troubles consécutifs aux liens affectifs qu'on développe à l'égard de son logement et de ses meubles, objets et bibelots divers. Ses personnages ne sont pas toujours propriétaires de leur domicile mais on pourrait dire que leur domicile — leur territoire — les possède et les ronge jusqu'à leur faire prendre de mauvaises décisions.

 

Lionel Shriver dépeint la société humaine comme une collection d'individus pleins de défauts que leur sens de la propriété a créés ou aggravés. J'en risquerai d'abord un catalogue non exhaustif au fil du texte. Weston Babansky n'est qu'un lâche aux yeux de Jillian son amie de longue date (1- Le Lustre en pied). Burt, le voisin de Jeannette Dickson laisse son jardin à l'abandon, aussi veut-elle abattre l'envahissant sycomore qui lui fait de l'ombre (2- Le Sycomore à ensemencement spontané). Liam, un fainéant de trente ans, parasite le foyer familial passant ses journées à consulter un site sur les plaques d’égout, et sa mère conspire pour le mettre à la porte (3- Terrorisme domestique). Le facteur de Newquay détourne une grande partie du courrier qu'il doit distribuer (4- Poste restante). Eliot et son père venu le rejoindre en Angleterre pour donner une conférence sont aussi pingres l'un que l'autre (5- Taux de change). Un couple propriétaire d'un lodge au Kenya craint les pires conséquences de l'éventuelle disparition d'une touriste : « J'aimerais bien comprendre pourquoi tous ces gens débarquent chez nous et deviennent soudain notre problème » dit le mari (6- Kilifi Creek). Helen a acheté une maison pour un prix très inférieur au marché et les déconvenues qui s'en suivent la rendent insupportable à son travail et elle sombre dans la folie (7- Repossession). Peter Dimmock rate son avion pour avoir trop fait le malin au contrôle de l'aéroport (8- Le Baume à lèvres). Alors qu'ils hésitent à vendre leur résidence dont la valeur baisse dans un contexte de crise, Graham a le toupet d'inviter sa maîtresse à la maison en présence de sa femme (9- Capitaux propres négatifs). Un couple s'installe en location à Brooklyn dans une maison charmante mais dès qu'ils en deviennent propriétaires ils s'en prennent stupidement à la vigne vierge qui abrite la véranda et font fuir les ratons laveurs qui vivent dans le jardin (10- Les Nuisibles). Après avoir escroqué ses actionnaires, Barry s'imagine trouver le paradis dans un hôtel de luxe au bord de l'océan Indien (11- Paradis et perdition). Enfin Sara, qui envisage de passer un an en Thaïlande, ne peut pas supporter la sous-locataire qu'elle vient d'installer pour la durée de son absence de Belfast, car elle fait preuve d'un coupable sans-gêne (12- La sous-locataire).

 

Les deux plus longues nouvelles (novellas d'une centaine de pages) qui ouvrent et closent le recueil méritent une attention particulière, ne serait-ce que pour cette commune raison : deux femmes qui ne se supportent pas.

Jillian, ancienne maîtresse mais toujours amie de Weston car ils sont partenaires au tennis, se rend insupportable aux yeux de Paige qu'il va épouser. Artiste amateure et jeune femme excentrique, elle aime offrir ses créations, aussi bizarres et encombrantes soient-elles. C'est ce Lustre à pied, autrement dit un invraisemblable lampadaire, qu'elle leur offre en cadeau de mariage. « C'est physiquement intrusif » note Paige (Notez le niveau de langue!). Pourtant, Jillian n'est pas invitée à la cérémonie par Weston poussé par sa jeune épousée. Celle-ci le force aussi à couper les ponts avec la voisine artiste. Un an plus tard Jillian voudra récupérer « son » œuvre, n'ayant pu récupérer son ancien amant.

 

Dans La sous-locataire, Sara Moseley est une journaliste américaine venue vivre à Belfast. Elle gagne sa vie depuis neuf ans et écrivant des chroniques pour un journal local. Elle s'est ainsi forgé une connaissance encyclopédique des deux camps du nationalisme irlandais et en est arrivée à détester les républicains. Emer qui vient de débarquer des États-Unis est loin de maîtriser les arcanes du conflit en Ulster : « ...ce qui frustrait le plus Sara à propos de cette maudite femme, c'est que l'endroit exact où la sous-locataire se situait elle-même sur le spectre finement gradué de la politique nord-irlandaise était insaisissable. De ce que Sara pouvait en deviner, Emer appartenait au groupe “C'est horrible à supporter, tout ça” dont le non-alignement bégueule impliquait que prendre parti équivalait à devenir une partie du problème ». Après les défauts individuels, on en vient donc aux défauts collectifs à travers l'analyse du caractère du nationaliste, c'est « un pleurnicheur, un râleur. Il se sent victime d'injustice : il a été maltraité et mérite un dédommagement. Mais peu importe le nombre de concessions que vous lui faites, elle ne suffiront jamais... » car « ce que le nationaliste aime par-dessus tout, ce sont ses griefs ».

 

Fort logiquement, beaucoup de ces nouvelles se terminent mal. Mais nous garderons le silence pour ménager le suspense.

 

Sans mettre en doute l'intérêt de ses sujets, il me semble devoir avancer que Lionel Shriver a une façon alambiquée de les raconter, comme s'il fallait toujours compliquer ce qui est trop simple pour faire de la bonne littérature. Et à moins que cette impression ne soit renforcée par la traduction, l'auteure m'a paru pratiquer un style assez lourdingue. Voyez ce passage du portrait de la petite amie noire de Liam dans Terrorisme domestique : « Elle préférait Django Unchained à Twelve Years a Slave, et pouvait élaborer avec beaucoup d'éloquence les raisons pour lesquelles les fantasmes de revanche constituaient pour sa communauté de biens meilleurs vecteurs d'autonomisation que les épisodes horrifiants de maltraitance à son encontre.» Pour le dire en un mot, et en clair, elle est woke.

 

Il reste que Lionel Shriver excelle dans la description d'une société sous tension, lourdement individualiste, et où les contraintes financières ne sont pas cachées sous le tapis.

 

 

Lionel Shriver : Propriétés privées. Traduit de l'américain par Laurence Richard. Belfond, 2020, 501 pages dans l'édition Pocket.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ETATS-UNIS
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