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Née en 1963 au Mozambique de parents portugais, arrivée à Lisbonne à treize ans, Isabela Figueiredo a gardé le silence pendant une trentaine d’années sur son enfance africaine. Ce qui frappe dans ce récit d’amour et de haine publié en français en 2021 c’est l’écriture crue, violente choisie pour briser le tabou du « colonialisme si doux des Portugais ».

 

À Lourenço Marques, devenu Maputo en 1974, la fillette entretenait une relation complexe avec son père : si elle l’adorait, elle s’opposait aussi à lui. Raciste, machiste et violent, il incarnait le colon blanc typique. Pour lui les ouvriers noirs n’étaient que des « singes » fainéants ; et il aimait aller dans le caniço — le quartier noir — « fourrer la chatte » des négresses, toutes interchangeables. Isabela vouait un véritable culte à ce « roi géant ». Elle aime évoquer « le corps doux et chéri » de son père en des termes d’une sensualité ambigüe. Lorsqu’il l’envoya à Lisbonne poursuivre ses études il la chargea de raconter aux Portugais les massacres, les viols, tout ce que les colons subissaient dans cette guerre de l’indépendance. Poussée par le FRELIMO, le front de libération du Mozambique, la « négraille » massacrait à la machette les blancs persuadés que « l’Afrique allait être à (eux)» : les colons rêvaient d’une Californie portugaise sous pouvoir blanc.

 

Malgré son amour pour son père, « c’est lui que j’ai trahi » avoue l’auteure. Toute enfant déjà elle s’opposait en silence à « l’idéologie » paternelle « si infâme »  : « j’étais un non d’acier » rejetant « les avantages de la race ou de la haine ». Elle ne comprenait pas pourquoi elle ne pouvait jouer avec les enfants noirs de son âge, « ceux qui étaient de la même terre (qu’elle) ». En cachette elle marchait pieds nus et « ondulait comme une négresse » ; elle alla même jusqu’à braver l’interdit et vendit des mangues, assise par terre, « comme une petite colon nègre », une enfant d’Afrique. À douze ans Isabela peinait à se trouver une origine car « bien que née au Mozambique ce pays ne m’appartenait pas » et souffrait de cette identité éclatée, schizophrénique, noire et blanche.

 

Rapatriée à Lisbonne, — « retornada » —, la jeune fille dut affronter ces « connards de la métropole », « de triste gens « laids et pauvres d’esprit » à ses yeux. Ils la rejetèrent car « ces retornados viennent ici voler le peu qui est à nous ». Acceptée ni au Mozambique ni au Portugal, — « indésirable dans son pays de naissance parce que sa présence rappelait de mauvais souvenirs » —, elle prit la mesure de son exil. Son livre fit honte à sa propre famille. Mais Isabela Figueiredo, en brisant le silence, en racontant sa vérité, s’est délestée de son passé : « je veux être seule au monde » s’exclamait-elle. Elle l’est, sa solitude est le prix de sa liberté.

 

Nul lecteur ne sortira indemne de ce violent témoignage.

 

Isabela Figueiredo : Carnet de mémoires coloniales. Traduit du portugais par Myriam Benarroch et Nathalie Meyroune. Préface de Léonora Miano. Chandeigne, Bibliothèque Lusitane, 2021, 236 pages. [2009].

Chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #LITTERATURE PORTUGAISE, #PORTUGAL, #MOZAMBIQUE, #ESCLAVAGE & COLONISATION
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