Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le journaliste Ahmet Altan fait s’affronter les contraires dans ce roman d’apprentissage, d’amour et de chagrin, sur fond de répression islamiste, comme si la littérature restait le seul remède au malheur des hommes. Elle le fut sans doute pour lui puisqu’il écrivit ce récit pendant les quatre années de son incarcération sans preuve après la tentative de putsch à Istanbul en 2016.

Après le décès de son père ruiné, le jeune Fazil poursuit ses études de littérature « dans la honte d’être pauvre » et emménage dans un vieil immeuble où tous les locataires, plus ou moins borderlines, partagent la cuisine. Le jeune homme se sent à l’aise à l’université, « dans ce monde hors du monde ». Il a vécu une enfance heureuse et n’est pas préparé à affronter la réalité car « c’est le malheur qui nous enseigne la vie ». Pour subsister il joue les figurants dans une télévision de banlieue où dansent des femmes provocantes. Fazil remarque l’une d’elles, Madame Hayat, la cinquantaine très excitante : il reste « abasourdi », ensorcelé. Elle le déniaise et il ne peut supporter d’être loin d’elle, solaire, solitaire, éprise de liberté, « elle se moquait de tout ».

 

Mais Fazil croise un soir, dans ce même studio, la jeune Sila, étudiante comme lui en littérature, pauvre comme lui après la ruine de sa famille : il en tombe amoureux. Les deux femmes s’aperçoivent un soir, et chacune, jalouse, le questionne sur l’autre... Tiraillé entre ces deux figures féminines que tout oppose le jeune homme vit « dans un équilibre étrange et scandaleux » : « j’avais deux femmes dans ma vie » et « je me sentais coupable de ne pas réussir à leur avouer la vérité  à l’une ni à l’autre ». Madame Hayat incarne la liberté par le refus des contraintes — « suivre les règles est parfois ennuyeux, et ce n’est pas toujours juste » — et entend choisir ses objets d’attachement. À l’inverse Sila envisage la liberté dans l’exil au Canada chez un cousin.


 

Fazil reste le jouet « d’émotions contraires » : Madame  Hayat cherche à le détacher d’elle, Sila à l’attacher. La haine et la barbarie submergent peu à peu la ville. On arrête ses professeurs : Madame Nermin, reflet de Madame Hayat, qui incitait ses étudiants à réfléchir à « une liberté qu’on gagne en se pliant aux règles, d’un côté, et une liberté obtenue à force de les défier » ; et  Monsieur Kaan, reflet de Sila, qui croyait nécessaire de « s’enfuir pour survivre ». Mais Fazil renonce à suivre Sila : à Istanbul il attend...


 

L’auteur ponctue son récit de mystérieux indices qui accroissent l’intensité dramatique jusqu’à l’ultime tragédie. Son écriture à la fois fluide et complexe, de longues périodes souvent introspectives, immergent le lecteur dans l’intrigue. Ahmet Altan méritait le prix Femina 2021 du roman étranger.


 

Ahmet Altan : Madame Hayat. - Traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes, Actes Sud, 2021, 267 pages.

Chroniqué par Kate

Tag(s) : #LITTERATURE TURQUE
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :