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Un roman d'une épaisseur sans précédent chez Houellebecq ! Relié avec marque-page comme un Pléiade, serait-ce là le chef-d'œuvre du “grantécrivain” ? La multiplication des thèmes et des intrigues secondaires nourrit certes 700 pages mais la réussite d'un roman est rarement la mesure de l'épaisseur du volume, plutôt de l'épaisseur des personnages et de leurs aventures.

 

Avec un père haut placé dans la hiérarchie des services secrets, avec son poste de secrétaire particulier du ministre des finances, Paul Raison pourrait avoir une vie palpitante mais il est déprimé par un vide existentiel alors que de mystérieux messages apparaissent sur l'Internet et qu'éclate une tragique série d'attentats. Mais Michel Houellebecq n'est ni John Le Carré ni Dan Brown. L'organisation inconnue qui menace la tranquillité d'un ministre, la paix du monde, la globalisation et la high tech ne donne qu'un petit frisson épisodique au lecteur. Ça tourne au flop grandiloquent et un peu ridicule quand une cérémonie d'hommage aux migrants disparus, réunit en pleine mer une centaine de chefs d'état éplorés sur le pont du porte-avions Jacques Chirac.

 

Non, l'opus magnum de notre auteur tricolore doit avoir d'autres fondements. En effet il abandonne progressivement l'intrigue grand-guignolesque pour scanner la France de 2027 en pleine année électorale. Depuis son poste à Bercy, Paul Raison assiste à la préparation de la présidentielle. Bruno, le ministre des finances, jugé compétent par 88 % des Français, a toutes les qualités pour se porter candidat. Il a favorisé la réindustrialisation du pays, stimulé les exportations et brisé la dette ! Le Président qui termine son second mandat doit passer la main ; en attendant son retour prévisible en 2032 il propulse face à la candidature nationaliste un populaire chouchou des médias, un neuneu qui tiendra bien cinq ans à l’Élysée avec Bruno aux commandes. En fait non, le populisme a d'autres peintres et ce n'est pas là non plus le véritable sujet du roman. Il ne s'agit pas d'anéantir la démocratie mais Paul Raison.

 

Dans ce roman qui démarre à la veille de Noël et s'étire dans l'année qui suit, Paul Raison rencontre de graves problèmes familiaux, et vit ses derniers jours. Accompagnée de symboles de décadence, la mort occupe une place centrale dans la thématique du roman, depuis la mort virtuelle du ministre, et la mort évitée de justesse de Raison père tombé dans le coma, sans oublier le suicide d'un autre membre de la famille. Ainsi Houellebecq fait de la marche mortelle de son héros le morceau de bravoure des cent dernières pages du roman. Il est ainsi amené à traiter avec gravité du milieu hospitalier : après le coma de Raison père, l'ancien agent secret, bientôt exfiltré de l'annexe d'un Ehpad où un hôpital lyonnais l'a remisé, viennent les traitements du cancer de Paul dans un établissement renommé de la capitale, ce qui nous vaut de remarquables portraits de plusieurs spécialistes.

 

 

Le paradoxe c'est qu'après s'être éloignés l'un de l'autre Paul et Prudence se retrouvent et forment un couple fusionnel juste avant que le cancer n'emporte Paul. En l'espace de quelques mois, Prudence, jadis froide, distante et adepte d'un culte mystérieux, se transforme en une femme sexy et une amante torride. Autre miracle, la littérature donne à Paul un puissant dérivatif aux sombres perspectives de la maladie, de la souffrance et de la mort. On a un peu de mal à le croire, mais Paul semble trouver secours et dérivatif dans un cocktail de lectures de Conan Doyle, Pascal et Joseph de Maistre... Quant à la souffrance... c'est une donnée plutôt escamotée par le romancier.

 

 

Naturellement, les vacheries, cynismes et provocations ne manquent pas, sinon ce ne serait pas du Houellebecq. Aux couplets contre l'immigration et l'islam qui envahit — ô sacrilège — le Beaujolais, on ajoute une charge contre les journalistes. Seule figure vraiment négative du roman, Indy, la belle-sœur aigrie de Paul Raison dénonce sa propre famille pour faire un coup politique en publiant un article retentissant dans l'hebdomadaire de gauche qui l'emploie. Ainsi commence la descente aux Enfers de Paul Raison. Bref, le pouvoir, l'amour et la mort restent les grands sujets de la littérature. Juste de quoi faire un roman pour le  "grand public" auquel il rend hommage page 707 : « pour la première fois de l'histoire du monde, la production culturelle populaire s'était montrée esthétiquement supérieure à la production culturelle de l'élite ». Succès commercial assuré pour ce roman qui commence comme un gag et finit en drame bouleversant.

 

 

Michel Houellebecq : Anéantir. Flammarion, 2022, 733 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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