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Maître de l'ironie voire de la dérision, Flaubert se moque de son temps, de ses « deux cloportes », et des livres qu'ils lisent. Ils s'étaient rencontrés un jour de canicule. L'un célibataire et l'autre veuf, Bouvard et Pécuchet sont des Parisiens qui ont décidé de quitter leur emploi de bureau, pour s'établir à la campagne « vers la fin de 1840 », chassés par la médiocrité de leur vie. Ils achètent une ferme entre Falaise et Caen, à Chavignolles, et les voilà ragaillardis et prêts à toutes les expériences tels des hommes de la Renaissance.

En avance sur les hippies soixante-huitards et les néo-ruraux fuyant le virus : ils tenteront comme les premiers un retour à la terre (hilarant), et conserveront comme les seconds ils une large curiosité d'esprit (désopilante elle aussi).

 

Après leur installation à la campagne, Bouvard et Pécuchet qui n'avaient vécu jusque là que comme gratte-papiers s'initient à toute une série d'activités qui s'enchaînent, rencontrant de très compréhensibles échecs — beaucoup — et quelquefois d'incompréhensibles succès. Comme Sisyphe, ils recommencent encore et encore ! Ce pourrait être absurde et tragique, mais non, ici la répétition est bien un ressort du comique. L'échec quand il se produit est un stimulant pour une autre aventure. Une fois cependant, à force de controverses métaphysiques, ils ont failli se suicider, mais l'idée lumineuse qu'ils n'avaient pas fait de testament vint les dissuader juste à temps de commettre l'irréparable. Le mariage aussi, ils l'éviteront, en dépit des sollicitations de Mme Bordin et de Mme de Noaris, les veuves qu'ils rencontrent dans le salon du Comte de Faverges — où leurs propos parfois choquent !

 

Apparemment sans vieillir (tant ils bougent et sollicitent leurs neurones) Bouvard et Pécuchet vivent au milieu d'une histoire de France qui clairement continue : révolution de 1848, élection de L.N. Bonaparte à la présidence, proclamation de l'Empire, guerre d'Italie... Nos deux anti-héros découvrent et déconstruisent tour à tour les savoirs, piochant dans les sciences économiques, les sciences humaines et les sciences de la nature... Ils se lancent dans la culture des céréales, le jardinage et l'élevage, dans l'histoire de la France et de l’Église, dans la recherche de fossiles et la collection d'antiquités locales, dans les conserves et la distillation, dans la médecine et la phrénologie, dans le spiritisme et les tables tournantes — tout cela avec plus d'insuccès que de réussites. Ils expérimentent, notamment d'après l’Émile, l'éducation de deux jeunes gredins, Victor et Victorine...  « Ils différaient d'opinion quant à la géographie. Bouvard pensait qu'il est plus logique de débuter par la commune. Pécuchet par l'ensemble du monde ». Les deux apprentis savants s'apportent mutuellement la contradiction quand elle ne vient pas de l'extérieur. Avec leurs expériences et leurs lectures, Bouvard et Pécuchet tantôt brillent en société et passent pour savants — on vient même les consulter pour soigner une vache — tantôt ne recueillent que colère et mépris — surtout de la part du curé du village. Sans doute sont-ils d'inoffensifs excentriques si l'on en croit la lettre du médecin au préfet conservée dans les brouillons que Flaubert a laissés.

 

Bêtes comme ils sont, tout semble à leur portée. Ils envisagent même de se faire élire députés en 1848 ! (Flaubert déteste la politique). Et surtout ils lisent. Ils dévorent. Pour se documenter ils commandent à Paris les volumes qui traitent de leur passion du moment. Ils envisagent enfin de donner des conférences ! Et c'est là, par les livres, que les personnages et l'auteur se rejoignent. On sait que ce roman est resté inachevé du fait du décès de Flaubert au début de l'année 1880. On sait par sa Correspondance qu'il prévoyait un second volume comprenant outre le fameux Dictionnaire des Idées reçues, un Sottisier constituée d'innombrables citations des œuvres lues par Bouvard et Pécuchet. Cela aurait constitué toute une Encyclopédie des savoirs et des sottises du XIXe siècle. Pour nourrir les aventures de ses « deux cloportes », Flaubert s'est infligé la lecture et la prise en notes de bien plus d'un millier de volumes, explorant tous les domaines du savoir. Tout cela pour dénoncer la vanité de ses contemporains. Chapeau !

 

 

Gustave Flaubert : Bouvard et Pécuchet. Folio, n°1137, 1979, 570 pages. Présentation par Claudine Gothot-Mersh.

Signalons le feuilleton que France Culture en a diffusé à l'été 2021 (ici).

 

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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