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À cent ans, Edgar Morin, sociologue et philosophe borderline souvent discrédité, déroule le fil de sa vie personnelle, indissociable de l’histoire mondiale. Né juif sépharade, Nahoum, adolescent pacifiste, se transforma en Nahoum dit Morin, résistant enthousiaste avant de vivre « six années d’aveuglement communiste » et de devenir anti-stalinien.
Pour lui, comme le chantait jadis Louis Aragon, « rien n’est jamais acquis à l’homme » : tout est impermanence, imprévisibilité : « Attends-toi à l’imprévu » conseille-t-il à son lecteur. Il l’invite à prendre conscience de la complexité de l’homme et du monde : c’est sa « Méthode » de la pensée complexe et son combat contre toute idéologie monolithique. Ainsi l’exhorte t-il à « faire émerger en lui la conscience des complexités humaines, si souvent masquées par les simplismes, unilatéralismes et dogmatismes ».
De fait les antinomies caractérisent autant l’histoire que l’être humain pour qui « chance et malchance vont se succéder » : tout individu peut être sage et fou, entre raison et passion mais « toute passion doit comporter de la raison en veilleuse et toute raison doit comporter de la passion en combustible ». Tout être humain oscille entre la « vie poétique », faite d’émotions et de joies et la vie prosaïque alourdie de contraintes et d’obligations.
E. Morin stigmatise donc le dogmatisme qui, en rejetant les points de vue différents occulte la complexité et engendre l’erreur. Comme celle-ci nous suit toujours et partout il faut savoir interroger ce qui semble évident telles les fakes news. Car, pour le sociologue, « aucun acquis historique n’est irréversible » et « le retour de la barbarie est toujours possible », surtout, selon lui, en raison des effets pervers de la mondialisation qui génère nombre de populismes.
C’est pourquoi E. Morin exhorte son lecteur à l’auto-examen, à l’autocritique — « hygiène psychique essentielle » — au doute « détoxifiant de l’esprit », donc à entretenir l’esprit critique pour « comprendre l’incertitude du réel ».
Mais aucun désespoir ne hante cette leçon de vie, car au doute répond la foi en « l’humanisme régénéré » déjà énoncé par Montaigne que E. Morin rappelle : « Je reconnais en tout homme mon compatriote » et « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ».
« Le mépris, l’indifférence, l’arrogance de classe, de race, de hiérarchie, sont des fléaux de civilisation qui, en imposant l’humiliation, empêchent ceux qui la subissent d’être reconnus dans leur pleine qualité humaine — ce qu ‘on appelle dignité ».
Cet humanisme vient aussi rappeler à l’homme sa modeste place dans le Tout du monde et E. Morin interprète la crise sanitaire dans ce sens comme la « crise d’une conception de la modernité fondée sur l’idée que le destin de l’homme était de maîtriser la nature et de devenir le maître du monde ».
En revisitant sa propre existence E. Morin nous donne une des plus belles leçons de vie. Demeurer toujours vigilants sans oublier que « nous vivons une Aventure dans l’inconnu » et que « l’esprit humain est devant la porte close du Mystère ».
• Edgar Morin : Leçons d'un siècle de vie. Denoël, 2021, 147 pages.
Chroniqué par Kate