Encore un roman sur la France de Vichy ? Un demi-siècle après la fin de la guerre, un biographe a entrepris de travailler sur un écrivain à succès qui à l'époque de l'Occupation aurait été inquiété en raison de sa judéité. Pour connaître la vérité, il s'est tourné vers les archives publiques et a obtenu une dérogation pour consulter des dossiers du Commissariat aux Questions Juives. Au fil de ses recherches, il découvre contre toute attente un dossier de dénonciation visant sa propre belle-famille, les Fechner.
Pierre Assouline nous plonge alors dans l'atmosphère glauque des années marquées par les dénonciations, les délations par l'envoi de lettres anonymes. Mais parfois elles étaient signées : celle qui dénonçait le commerce clandestin des Fechner, les fourreurs dont la boutique du 51 rue de la Convention avait été “aryanisée”, était signée par Cécile Armand-Cavelli, la fleuriste du 52. Après la mort en déportation de ses parents, à la Libération, Henri a repris la boutique. Son fils François à son tour est devenu fourreur.
En faisant part de sa découverte à son beau-frère, le biographe découvre que Cécile Armand est restée cliente de la boutique des Fechner ! Aussi va-t-il chercher à en savoir plus sur la fleuriste, tenter de faire parler celle qui lui oppose « une froideur métallique », mais bientôt sa démarche dérape. Filatures, coups de téléphone en pleine nuit, menaces voilées : de quel droit le biographe est-il en train de se changer en justicier obsessionnel ? et que peut-il en résulter ? Curieusement, François Fechner ne souhaite pas encourager la démarche de son beau-frère. Souci de discrétion d'un commerçant juif qui écarte tout esprit de vengeance ? Or, le voisin miroitier non plus ne l'encourage pas.
On s'imagine alors que cette dénonciation a pu peser sur la conscience de Cécile Armand. Mais qu'est-ce qui l'avait poussée à écrire sa lettre de dénonciation : était-ce uniquement de l'antisémitisme ? En rencontrant un policier à la retraite, l'enquêteur va découvrir que l'existence de la fleuriste a connu quelque traumatisme à la Libération... et que ça la poursuit encore, fatalement, car « elle porte son châtiment en elle ».
Il faut reconnaître que ce court roman explore habilement l'ombre portée de Vichy un demi-siècle plus tard. L'élégance sobre de l'écriture ajoute une deuxième raison de le lire.
• Pierre Assouline : La Cliente. Gallimard, 1998, 192 pages. Réédition Folio en 2000.