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La Fièvre de Petrov s'impose de toute évidence comme le nouveau chef-d'œuvre du cinéma russe contemporain, un film qui inspire les critiques à un point qu'on voit rarement.

Présenté à Cannes en juillet 2021 en l'absence du réalisateur Kirill Serebrennikov assigné à résidence à Moscou, le film est sorti sur les écrans français le 1er décembre 2021. Il reprend fidèlement l'intrigue du roman d'Alexeï Salnikov publié en français par les éditions des Syrtes en 2020 sous le titre Les Petrov, la grippe, etc, un surprenant roman que Wodka a déjà chroniqué (lien) et qu'il est manifestement préférable d'avoir lu pour suivre ce film qui ne cherche pas à séduire le grand public, mais les amateurs de films originaux et extravagants.

 

D'emblée le spectateur est fracassé par l'interprétation cinématographique qui prend ses distances avec l'écriture froide du roman  : un univers sonore puissant, parfois assourdissant, emprunté au rock et au style undergound de Kusturica ; des dialogues hurlés et des scènes pleines de brutalité ; des images oppressantes et obscurcies, à la photographie souvent glauque d'intérieurs obscurs et d'extérieurs nocturnes et sombres malgré la neige de l'hiver russe ; des acteurs puissants enfin (dont Semyon Serzin en Petrov, et Chulpan Khamatova en Petrova).
 

Petrov trinque avec son ami dans le corbillard

 

Il est tentant d'affirmer que Serebrennikov a mis dans son film toute la rage que lui donne le fait d'être assigné à résidence en Russie jusqu'en 2023 par un pouvoir à l'esprit étriqué. Ainsi, les propos sur le pouvoir placés dans la bouche de Viktor le philosophe alcoolique, prennent un sens qu'ils n'avaient peut-être pas dans l'écriture de Salnikov : en fin de mandat présidentiel, le peuple devrait se prononcer par référendum ; si le peuple est satisfait, le président peut prendre sa retraite, sinon il est fusillé. La phrase fait écho à la scène inaugurale du film quand Petrov, passager de l'autobus, est amené à assister à l'exécution d'un groupe de bourgeois chic pris en otage par un commando de gangsters, scène à rapprocher d'un célèbre tableau de Goya.

 

Petrov vide la vodka chez Viktor le philosophe poivrot

 

Mais il reste que les grands thèmes du roman sont parfaitement maîtrisés dans la folle version cinématographique du réalisateur russe. Le déplacement de Petrov en bus puis en corbillard avec un ami épris de boisson, véritable « trip hallucinatoire » (Libération), sert de structure générale sur laquelle se greffent tous les épisodes venus de son présent alcoolisé et enfiévré, de l'imagination violente de son épouse bibliothécaire inquiète de la santé de son fils et qui, en même temps, se rêve en serial killer, et des souvenirs récurrents d'une fête pour la jeunesse chère aux Petrov père et fils.

 

Petrova se rêve en super-héroïne pendant la réunion du cercle de poésie

 

Dans cet univers sombre et fiévreux, la fête est une obsession qui revient trois fois : en couleur et grand format pour la participation de Petrov fils à peine remis de sa grippe et pressé d'y assister, en couleur mais en format ¾ pour les souvenirs d'enfant de Petrov père, enfin en noir et blanc grand format pour la Fille des Neiges troublée par la découverte de sa grossesse et le choix d'avorter. La fête musicale et costumée illustre à la fois le merveilleux traditionnel avec Père Noël, neige et ours noir, mais aussi le merveilleux moderne avec fusée et martiens, comme dans la BD que Petrov est en train de dessiner, sans oublier le passé soviétique glorifiant le Parti, et toujours avec la fille qui danse, la Fille des Neiges, la Snegourotchka des Russes à la main glacée.

 

La Fête de Noël soviétique

 

À la toute fin du film, le mort qui ne l'était pas sort un peu groggy du corbillard et se met à courir... La Russie de Poutine est-elle ce cercueil dont Kirill Serebrennikov veut s'échapper ?

 

Kirill Serebrennikov : La Fièvre de Petrov, durée : 2h 25.

 

Tag(s) : #AU CINEMA, #RUSSIE
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