Entre Madame Bovary et L'Education sentimentale, Gustave Flaubert s'est éloigné cinq années durant de la société de son temps n'hésitant pas à se rendre en Tunisie pour s'imprégner des lieux. Ainsi avec Salammbô il a même contribué à lancer la mode de l'Orientalisme.
Carthago delenda est... ! Avant d'en arriver à cette extrémité, avec la troisième et dernière guerre punique, Rome a vaincu Carthage un première fois en 241 avant notre ère. Les mercenaires qui ont subi la défaite en Sicile sont rapatriés à Carthage par leur général, Giscon. Une grande fête est offerte en leur honneur dans les jardins d'Hamilcar, en attendant que leur solde soit payée, le gouverneur Hannon temporise et la révolte éclate et s'organise. Elle va durer trois ans et prendre l'allure d'une impitoyable guerre civile qui met en scène les alliés de Carthage soulevés contre sa lourde tutelle impériale.
Pour écrire Salammbô, Gustave Flaubert s'est appuyé sur tous les auteurs anciens possibles, et en ce qui concerne la Guerre des Mercenaires qui est au cœur de son roman il a tiré un maximum d'informations de Polybe. Toutefois la belle Salammbô, fille d'Hamilcar Barca et prêtresse de Tanit, est une invention de Flaubert.
Le récit de Flaubert reste la formidable re-création de l'univers antique, de la richesse inimaginable de Carthage, de sa situation au centre du monde méditerranéen où elle a recruté ses troupes bigarrées : Ligures, Celtes, Ibères, Baléares et Grecs, auxquels se joignent Numides et Libyens... Bien plus, rares sont les romans de guerre aussi formidables que celui-ci : l'auteur a su peindre la montée de la rancœur des troupes vaincues, l'ardeur et la folie des combats, les ruses des stratèges des deux camps, et jusqu'à la guerre de siège et les charges des éléphants de guerre d'Hamilcar à qui le Sénat de Carthage a donné les pleins pouvoirs. On ne compte pas les scènes d'action dignes d'un James Bond, comme l'infiltration de Spendius et Mâtho dans le centre de Carthage par l'aqueduc, jusqu'au temple de Tanit où Mâtho vole le « zaïmph », le fameux voile de la déesse, pour l'offrir à cette Salammbô qui l'a ébloui par son apparition durant la fête des mercenaires quand elle lui a versé à bire.
Mais au-delà du roman de guerre, et de l'histoire d'amour impossible entre le guerrier étranger et l'héritière carthaginoise, le lecteur restera médusé par la violence sanguinaire de cette société punique moins par le supplice infligé à Mâtho en plein Carthage sous les yeux de la foule et de Salammbô que par l'abominable cérémonie d'expiation de Carthage envers le dieu Moloch où des enfants sont livrés aux flammes.
L'Orientalisme de Salammbô triomphe avec la générosité du texte en vocables exotiques, avec l'inventaire des richesses à profusion dans la villa d'Hamilcar, avec les parfums inconnus, les corps dénudés, et le soleil couchant sur la mer.
• Gustave Flaubert : Salammbô. Publié en 1862. Nombreuses éditions, par exemple Folio classique, 2005, 544 pages.
L'exposition : Salammbô. Fureur ! Passion ! Elephants ! (ici).