L'histoire du plus vieux métier du monde a suscité bien des études mais pas toujours rigoureuses. Rien de tel avec Agathe Roby dont la thèse est calée sur l'Occitanie entre XIIIe et XVIe siècle.
Inutile de rêver que l'on puisse disposer de journaux intimes ou de souvenirs de prostituées de ce temps ou de leurs clients ! Pour une telle étude, la question des sources primaires revêt une importance particulière car elles sont surtout judiciaires avec les arrêtés du Parlement entre 1448 et 1518 et administratives provenant des archives des cités, Toulouse principalement.
La prostitution médiévale est réprimée par trois pouvoirs : ceux du roi, de l’Église et de la cité. Dès 1201, un bourgeois de Toulouse demande qu'on chasse les prostituées de la rue où il habite. L’Église combat la vie sexuelle hors du mariage qu'elle vient de refonder et renforcer en 1215 au concile de Latran IV. Le roi fait de même : par sa Grande Ordonnance de 1254, Louis IX choisit une politique répressive avant de partir en croisade : les femmes de mauvaise vie — les « ribaudes » — doivent être expulsée des villes et leurs biens confisqués — un vœu pieux...
Plus généralement, à l'instar de l'Eglise, les autorités locales se méfiaient des femmes réputées pécheresses. Les autorités consulaires imposaient des restrictions vestimentaires : en théorie, les femmes ne porteraient plus de robes de soie, de fourrures, de bijoux d'or et d'argent... tandis que les prostituées devraient afficher en public des signes distinctifs, comme une ceinture blanche à Pamiers en 1420, et ne pas toucher à certaines marchandises sur les marchés.
En pratique il y a une large tolérance à l'égard de la prostitution jusqu'au milieu du XVIe siècle. L'originalité de l'étude consiste en la révélation de l'existence de bordels municipaux à Toulouse et diverses villes du Midi. Ainsi, tandis que la prostitution est réprimée quand elle s'exerce au grand jour en ville, ou quand des proxénètes contraignent des filles à se prostituer au bénéfice de clercs, ou à subir des viols par des notables, elle devient licite dans des établissements publics créés et contrôlés par les municipalités. Un premier bordel public s'ouvre ainsi à Toulouse au milieu du XIVe siècle. Albi suit en 1383, Castres en 1391, plus tard viennent Montauban, Castelnaudary, Foix, etc. La documentation sur leur fonctionnement devient plus importante pour le XVe et le début du XVIe siècle. Or, la tolérance à l'égard des lupanars municipaux va cesser, notamment après que la dénonciation du comportement sexuel abusif des clercs. C'est même tout « un changement de discours envers la sexualité » qui survient alors.
Entre 1500 et 1550 survient à la fois l'apogée du système des bordels municipaux et une avalanche de mesures répressives à l'égard de la sexualité en général, devenue synonyme de débauche, et des putes en particulier. A plusieurs reprises le Parlement de Toulouse demande que l'évêque sanctionne les clercs pour leur concubinage ou la fréquentation des prostituées, que les « femmes publiques » soient expulsées des villes. Elles sont alors marginalisées de même que les mendiants et les errants. Ce « nouvel ordre moral » est soutenu par la monarchie avec l'édit d'Orléans qui ferme les bordels. En 1559 à Toulouse c'est en fini du Château Vert installé intra-muros en 1526 : il devient la maison de saint Roch pour loger les officiers du service des pestiférés.
L'étude de l'inscription spatiale de la prostitution publique montre la présence des « femmes publiques » sur les places de marché, dans les rues commerçantes, et près des portes pour le racolage. Les autorités cherchent donc à les écarter des endroits les plus fréquentés et, en conséquence, d'installer les bordels près des portes mais à l'extérieur des murs, comme on le voit sur la carte des emplacements des trois bordels d'Albi, ou à la rigueur intra muros mais dans une rue peu accessible comme le Château Vert à Toulouse. Elles exercent aussi leur activité dans les étuves, ces bains publics de l'époque.
Des proxénètes et des femmes vénales sont connus par les archives des procès. En effet les filles des bordels municipaux peuvent porter plainte et leur témoignage est reconnu par la cour, ce qui est la preuve de leur insertion dans la société. Il est ainsi possible de voir, en plein XVe siècle, Catherine du Mas Dieu, venue à Toulouse de la région de Rodez, et qui a quitté le domicile conjugal pour fuir la violence de son mari, ou Guillemette de Castanet ayant elle aussi quitté son mari pour se prostituer près du couvent des chanoinesses de Saint-Sernin dans le quartier universitaire. Ainsi note-t-on que les prostituées ne sont pas toujours célibataires. Leur clientèle semble provenir de toutes les couches de la société et les célibataires sont particulièrement remarqués comme clients des bordels municipaux. Les gérants de ces établissements, par bail annuel ou pluriannuel, sont d'abord plutôt des femmes et au XVIe siècle, semble-t-il, plutôt des hommes quand le droit de fermage explose, record atteint au Château Vert le 18 octobre 1551 pour la Saint-Luc : 1175 livres — contre autour de 200 livres pour les années précédant 1530.
Les filles de joie qui sont actives dans les bordels entre 15 et 40 ans trouvent parfois des portes de sortie ; ainsi devenir maquerelle, ou tenancière autrement dit « abbesse » de la maison publique, se marier, ou entrer dans les ordres. En 1198 déjà le pape Innocent III a suggéré aux hommes d'épouser des filles repenties pour gagner le Ciel. Plusieurs couvent de repenties s'ouvrent aussi à Toulouse depuis qu'en 1215 saint Dominique en a pris l'initiative, appuyé par l'évêque Foulques, si bien que trois maisons de repenties vont exister dans la cité comtale.
Au total cette étude de la prostitution durant le “second” moyen-âge dans le Midi toulousain contribue à mieux connaître la sexualité de l'époque, la place de la femme dans la société, et à constater la révolution morale qui s'opère au milieu du XVIe siècle.
• Agathe Roby : La prostitution au moyen-âge. Le commerce charnel en Midi toulousain du XIIIe au XVIe siècle. Éditions Loubatières, Villemur-sur-Tarn, 2021, 349 pages.