Adrien Naselli, journaliste diplômé de l’École Normale Supérieure a voulu donner la parole aux parents des transfuges de classe afin de dénoncer « l’invisibilisation des rapports de classe » alors que la société française reste très clivée et que celles et ceux qui bénéficient de privilèges de classe nient ou cachent leurs origines modestes quand d’autres comme Emmanuel Macron ou Édouard Philippe s’en inventent pour montrer leur mérite...
L’auteur, lui-même issu d’une « classe moyenne basse » — un père conducteur de bus, une mère secrétaire — a enquêté dans son monde des média et de la culture... où aux côtés de la figure tutélaire d’Annie Ernaux on croise d’autres transfuges comme Édouard Louis, Nicolas Mathieu, ou Jean-Louis Lagarce. Adrien Naselli a rencontré quinze familles ; les mères, surtout, lui ont confié comment elle ont vécu le parcours de leurs enfants.
Ces parents n’ont pas fait d’études, « n’ont jamais pris l’avion » et vivotent de métiers alimentaires. Ils comprennent difficilement les choix et le parcours de leurs enfants vers un monde dont ils ignorent tout. Ces enfants devenus transfuges ont explosé « le plafond de verre de leur famille » ; et leur ascension a un coût psychologique et identitaire car ces jeunes se retrouvent « le cul entre deux chaises » : immigrés entre deux mondes et deux identités, ils souffrent d’une véritable « schizophrénie sociale ».
Toutefois ce changement n’est pas dû au hasard mais « à l’influence considérable que nos parents et l’éducation qu’ils nous ont donnée ont eu sur nous » reconnaît l’auteur. Leurs parents leur ont donné tout jeunes le goût des livres et de l’école ; ils leur ont appris la valeur du travail, de l’humilité et de la solidarité. La majorité des transfuges de cette enquête ont été bons élèves. Mais pour leurs parents avoir son bac, réussir en prépa ou à Sciences Po est moins important que « les services que l’on rend à la communauté. Qui l’on est vaut plus que ce que l’on fait ». La dette des transfuges de classe vis-à-vis de leurs parents est énorme. Certains ne les évoquent pas parce qu’ils en ont honte ; d’autres pour leur épargner le mépris et l’humiliation.
Adrien Naselli dénonce la loi de la reproduction sociale. Et si certains jeunes changent de classe c’est bien grâce au terreau familial et au rôle essentiel de leurs mères dans leur éveil : cette enquête dévoile tout leur mérite : ces transfuges n’ont pas à « rougir de leurs parents » auxquels la parole est rendue.
• Adrien Naselli : Et tes parents, ils font quoi ? Enquête sur les transfuges de classe et leurs parents. J.C. Lattès, 2021, 284 pages.
Chroniqué par Kate