Regretter d’être mère c’est « l’ultime tabou » dont les media parlent peu. Stéphanie Thomas, productrice dans l’audiovisuel, a interviewé dix femmes pour tenter de comprendre leur souffrance muette : car hormis l’association Maman Blues et quelques réseaux sociaux ces mères ont honte d’en parler. La plupart ont eu un enfant sous la pression socio-familiale, d’autres en désiraient un sans pour autant s’imaginer mère.
Depuis la guerre de 1914 on a « nationalisé les ventres » et Pétain en 1941 exhortait les femmes à enfanter : « Mères de tous les pays de France, votre tâche est la plus rude, elle est aussi la plus belle ». Les temps ont changé, l’enfant est devenu roi, mais on valorise toujours la maternité comme la fin en soi de la féminité. Avoir un enfant donnerait un sens à la vie, l’allaiter ferait de toutes les femmes de « bonnes mères » : 70% d’entre elles en France s’y consacrent durant les deux premiers mois après l’accouchement.
Regretter d’être mère devient indicible et inavouable.
Outre le diktat social, c’est aussi leur propre histoire qui génère ce regret chez certaines femmes. Beaucoup ont été privées d’affection parentale ou ont eu des mères dysfonctionnelles, alcooliques, dépressives. Elles vivent leur maternité comme une entrave à leur liberté et à leur vie professionnelle, ainsi que l’avoue Sylvie, mère de deux enfants : « ...je ne referais pas mes enfants. Ils m’ont tout pris. Mon temps, ma liberté, mon énergie. Je suis devenue un robot ». Avant d’être enceintes ces femmes n’ont pas eu conscience des contraintes qu’entraîne toute maternité, ni du changement de leur personnalité. De fait, comme l’écrit Élisabeth Badinter, « la maman ne s’appartient plus ».
Néanmoins ces femmes aiment leur enfant car c’est l’un des devoirs qu’elles ont envers lui, quel que soit ce fameux instinct maternel qui n’est nullement inscrit dans les gênes et dépend du passé de chaque femme.
Faire un enfant engage toute une vie. Pour n’avoir pas anticipé cette transformation d’elles-mêmes certaines femmes culpabilisent de ne pas trouver merveilleux leur nouveau rôle. Cette enquête a le mérite de briser le tabou.
• Stéphanie Thomas : Mal de Mères. Dix femmes racontent le regret d'être mère. Co-édition France-Culture et JC Lattès, octobre 2021, 177 pages.
Chroniqué par Kate