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En choisissant pour exergue la fin d’un vers du Bateau Ivre d’Arthur Rimbaud, Lilia Hassaine donne la tonalité de son roman noir, roman du désenchantement où chaque personnage lutte en vain contre son destin. Ceux qui n’y laissent pas la vie souffrent à jamais d’une profonde mélancolie. Rares sont les petits bonheurs dans cette double tragédie : celle de  l’intégration des émigrés algériens et celle d’un douloureux secret de famille. L’une découle de l’autre. L’idée était originale mais l’auteure n’épargne au lecteur aucun des poncifs de l’émigration algérienne. Nulle originalité narrative ne ravive ce thème rebattu : le prologue et l’épilogue le soulignent plus encore. Entre le mélo et les leçons de morale au lecteur, le style reste aussi terne que la monotonie chronologique. Seule l’évocation de l’Algérie suscite de belles métaphores.

 

Dans les années 1960 Saïd le berger était parti comme « outil de travail » à Billancourt, laissant au bled Naja son épouse et leurs trois filles. Toujours dans « l’angoisse de la perte » de ce mari épousé sans amour, elle peinait à assurer le quotidien précaire et rêvait de la France. À Paris tout la déçut. Elle tomba enceinte mais devant l’impossibilité économique d’assumer ce petit, son mari lui suggéra, selon une coutume algérienne, de le vendre à sa belle-sœur, Ève, qui ne pouvait avoir d’enfant. Naja s’y contraignit. Naquirent des jumeaux : le couple garda le plus frêle, Amir et confia Daniel à Ève.

Lilia Hassaine convoque toutes les difficultés auxquelles se heurtent les familles algériennes émigrées. Le racisme subi par le  « Bicot » à l’usine, devenu un « parasite social », le mariage forcé de l’adolescente au bled, la dégradation des HLM où, à partir de 1975, ne survivent que les plus pauvres. En France comme en Algérie on considère Saïd et Naja comme des immigrés. Leurs enfants, même diplômés, subissent le chômage et les filles se prostituent. Pire, dans les années 1980, la drogue gangrène la cité : seule pourvoyeuse de bonheur, elle tue et emporte Amir.

En parallèle, les deux femmes portent leur poids de chagrin. D’abord amies, elles s’entredéchirent autour de Daniel, l’enfant vendu. Naja souffre de devoir cacher son affection pour ce fils qu’Ève accapare. Entre prologue et épilogue la boucle est bouclée.

À l’inquiétude et la frustration de Naja jadis seule au bled avec ses filles répond l’amertume de Daniel découvrant l’Algérie, à Djémila encore. L’ombre de Camus plane sur l’évocation du paysage, seul moment lumineux, celui du bonheur impossible.

Entre exil douloureux et intégration malheureuse la romancière éclaire les nombreux stigmates des familles algériennes émigrées.

 

Lilia Hassaine : Soleil amer. Gallimard, 2021, 157 pages.

 

Chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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