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C'est toute l'histoire du Congo depuis 1900 qui se trouve ramassée dans ce roman à travers la personne de Mandala Mankunku qui en a connu toutes les étapes tragiques. Emmanuel Dongala emprunte la voie de l'épopée pour suivre son héros depuis un village figé dans le souvenir des ancêtres avant l'arrivée des colons, jusqu'à la grande ville et les beaux jours de l'indépendance et du progrès.

 

Dès l'enfance Mankunku a été émerveillé par l'univers de la forêt et du fleuve, puis sa découverte du monde l'a amené à tout connaître des plantes, à devenir guérisseur et féticheur, plutôt qu'à s'intéresser au travail de forgeron de son père. Son savoir lui vaut au village une réputation de nganga, de sorcier, de destructeur. Quand arrivent les premiers Blancs et qu'ils amadouent et trompent le chef Bizenga, oncle maternel de Mankunku, avec de fausses promesses c'est le début des catastrophes : «  L'irruption des étrangers avait comme rompu un équilibre ». La violence coloniale est atroce et cause la mort de ses parents. Mankunku se venge en poignardant Bizenga qu'il juge responsable de ses malheurs et s'enfuit vers la ville où on se fond dans l'anonymat.

 

Loin du paradis vert des origines, la vie de Mankunku avance au rythme de la transformation de son pays. Il est embauché sur le chantier du chemin de fer, puis chauffeur de la locomotive qui tire vers le port atlantique tantôt les « tirailleurs sénégalais », tantôt les wagons de minerais. Après 1945, il vit les premiers soubresauts préludes de la décolonisation. La modernité débarque avec la radio et les disques qu'enregistrent les musiciens locaux. Makunku choisit la modernité contre les traditions. Ainsi envisage-t-il de vivre avec la belle Milete qui n'est même pas de sa tribu.

 

Les rumeurs concernant un certain Mountsompa, qu'on dit assez fort pour arrêter les trains, révèlent le malaise des indigènes. La fièvre passe des campagnes aux villes. Ma Ngudi, une femme inspirée par une vision divine, soulève le pays et dans son sillage « d'autres sectes locales, les kimbanguistes, les Croix-Koma, les Zéphyrins, toutes proclament plus ou moins la fin de la domination coloniale ». Pour Mankunku, à la retraite forcée à cause de son engagement précédent, la roue tourne.

 

Passée la fête de l'indépendance, Mankunku ne se reconnaît bientôt plus dans l'Afrique nouvelle où la science occidentale supplante ses vieilles valeurs. En même temps, les paroles du « guide suprême de la révolution » perdent leur « pouvoir revigorant » et tombent à plat, réduites à des « clabauderies insignifiantes ». Face à « un monde qui tournait à vide, sans valeurs ni racines hérités » Mankunku décide de regagner l'immuable village des origines, « hors du temps des horloges des hommes ».

 

Il n'y a là que quelques éléments épars d'un livre très riche. Le style souvent épique de l'auteur, son vocabulaire recherché, font de ce roman marquant une lecture émouvante et poussent à la réflexion : que peut l'individu seul, même puissamment forgé par « le feu des origines » ?

 

Emmanuel Dongala, Le Feu des Origines. Babel, 2018, 292 pages [Albin Michel 1987, Actes Sud 2018].

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #CONGO
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