Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Dans ce roman clos, les phrases musicales, parfois lyriques cachent de violentes prises de position de l’auteure qui dénonce sans détours la société indienne où seul compte l’argent, où le sexe règne en maître, où la religion n’est qu’une mise en scène pour leurrer les plus pauvres. Ananda Devi interpelle le lecteur car, pour elle, « il doit pouvoir habiter le destin des personnages et éprouver pour eux de l’empathie ».

Dans la Ruelle, quartier des prostituées, où elles ne sont rien, « moins que fange et merde », Veena a mis au monde une fille, a  refusé de lui donner un nom et l’a rejetée car c’était un fardeau supplémentaire. Protégée et aimée des autres prostituées prêtes à tout pour qu’elle ne vive pas leur vie, l’enfant se voit comme une fourmi, une chinti : c’est le nom qu’elle se choisit .

Chinti devient la mascotte de ces femmes rejetées. Survient Shivnath, un saint homme, — un swami — qui prétend fréquenter les prostituées pour les sauver et les racheter. Il se prend d’affection pour Chinti, l’enlève, lui offre une vie de conte de fées et maîtrise tant bien que mal son appétit sexuel... Manipulateur et opportuniste il ne cache pas son mépris des pauvres qui l’adulent. Lui, le « fier incroyant » s’auto-glorifie et se divinise. Veena prend alors conscience du risque que court Chinti et elle qui refusait tout attachement « cède à la tentation de l’amour ». C’est lors d’un pèlerinage à Bénarès où Shivnath emmène la fillette que Veena, aidée des prostituées et de quelques hijras réussira à reprendre son  enfant.

Sous les fleurs, les maquillages et les vêtements aux chaudes couleurs » aucune prostituée ne nourrit l’espoir d’une vie meilleure ». Mais, malgré crachats et injures elles constituent « un divertissement nécessaire » pour les « pauvres hommes pieux » lors des pèlerinages. À la différence des prostituées, les hijras vivent en communauté. Comme Sadhana, « une femme née dans un corps d’homme », elles ont subi la souffrance de l’émasculation au couteau pour conquérir leur liberté. Ni prostituées, ni mendiantes, danseuses et musiciennes, « reconnues sans l’être, tolérées mais marginales » elles animent mariages et autres festivités. 

Si la défense de la condition féminine constitue un des thèmes chers à A. Devi, l’hindouisme n’échappe pas à ses critiques. Devenue une revendication de plus en plus violente, cette religion incite à « violer les femmes et massacrer les musulmans » ; « Dieu c’est la plus grande des loteries ». Plus que toutes ces « conneries qui ne veulent rien dire », seul compte le phallus de Shiva érigé dans toute l’Inde.

Mais ce roman n’est pas aussi noir que les eaux du Gange à Bénarès. Malgré leur haine et leur violence intérieure, les prostituées survivent : leur force de résilience, c’est de rire, surtout de la vulgarité de leurs clients : plus forte que le destin qui les broie, ce sont des déesses, des filles de Kali, capables de vengeance et d’amour.

Devi mène « un combat social » : ce roman porte l’espoir d’une Inde différente « où le pouvoir ne serait plus un outil de domination mais un vecteur d’émancipation ».

Immergé dans le récit au présent le lecteur en sort ébloui et ébranlé.

 

Ananda Devi : Le rire des déesses. Grasset, 2021, 234 pages.

Chroniqué par Kate

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :