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Voilà un gros bouquin qui ne peut que marquer durablement le lecteur par sa puissance d'imagination, par la complexité du récit, par l'étude psychologique des personnages ! Lilas rouge est le premier volume d'une impressionnante saga familiale. Il couvre l'Autriche rurale sur un demi-siècle, depuis les années 1940 jusqu'aux années 1990. Son auteur, né en 1982 à Kirchdorf an der Krems, s'est fait une spécialité de romans insérés dans le milieu rural.

 

Avec Lilas rouge, nous avons affaire à l'histoire d'une famille un peu spéciale. Les Goldberger ne sont pas originaires du village de Rosental. Ferdinand Goldberger s'y est installé vers 1940 et des décennies plus tard alors que l'Autriche accède à l'Union européenne et que la ferme est exploitée par son petit-fils Thomas ils passent encore au village pour de quasi étrangers.

Le roman est notamment remarquable pour ses descriptions de la nature, des paysages, des nuages et du ciel au fil des heures et des saisons, au pied du Magdalenaberg.

 

Les montagnes telles qu'elles pourraient s'admirer depuis la ferme des Goldberger © Peter Widmann

 

A un premier niveau de lecture, ce n'est en effet qu'une histoire familiale et paysanne. Celle des Goldberger, agriculteurs à Rosental. La vie de la ferme, d'une récolte à l'autre, occupe une grande place dans le quotidien des membres de la famille qui se succèdent à la tête de l'exploitation : Ferdinand Goldberger, un homme têtu qui s'est mis en ménage avec Elisabeth, ex-aubergiste et veuve de guerre, transmet l'exploitation à son fils lui aussi prénommé Ferdinand. Mari d'Anna, ce dernier choisit pour lui succéder entre leurs deux garçons Thomas plutôt que Paul qui sera expédié faire des études en ville puis dans la capitale. Thomas et Sabine n'ayant pas d'enfants, on envisage — dans la dernière partie — qu'un de leurs neveux soit susceptible de reprendre l'exploitation et vienne travailler avec lui. Ce pourrait être Leonhard... En même temps, l'élevage bovin et ovin pour la viande, ou la culture de l'orge — sans oublier en Bolivie l'élevage des chevaux pour Paul — constituent l'horizon quotidien des membres de la famille. Au fil des années l'exploitation est plus ou moins vaste, s'étendant à une époque aux terres d'Elisabeth, et plus ou moins prospère en raison des variations des marchés et des chutes des cours que les Goldberger s'efforcent de pallier en pratiquant la vente à de fidèles restaurateurs. Mais bien que diplômé en agronomie l'auteur veut en fait nous raconter autre chose. C'est une histoire morale. Une question de culpabilité, parce que le vieux Ferdinand n'était pas un enfant de choeur quand il est venu s'installer dans la ferme aux lilas, ces arbustes que Martha aime tant.

 

Sans regard vers le passé, l'incipit montre donc l'arrivée de Ferdinand Goldberger à Rosental, uniquement aperçue par l'idiot du village d'ailleurs incapable d'en informer l'aubergiste. Goldberger a été muté d'autorité dans ce village par le gauleiter de Linz pour assurer la fonction de nouveau chef local du Parti. On notera néanmoins que l'idéologie nazie ne provoque aucune interférence directe avec la trame du roman. Coupable apparemment de dénonciations abusives, — on ne saura rien de précis sur leur gravité criminelle — Goldberger a été sanctionné et en quelque sorte chassé du Paradis. Il est contraint de s'installer sur un domaine échangé contre l'exploitation forestière qu'il gérait dans l'Innviertel, près de la frontière supprimée depuis l'Anschluß. On ne disposera pas davantage d'éléments d'explication des crimes passés de Ferdinand que de précision sur les précédents habitants du domaine où personne n'est là pour l'accueillir, non plus qu'au village. Ses relations avec le maire de Rosental sont réduites au minimum. Le contexte politique reste ainsi largement hors-champ. Seules les victimes de la guerre sont mentionnées. Elisabeth, l'aubergiste, y a perdu son mari et deux frères sur le front de l'Est. Goldberger — qui est veuf — est arrivé en carriole, avec uniquement sa fille Martha, puisque son fils Ferdinand était sous les drapeaux et qu'il découvrira Rosental au retour du camp de prisonniers. Le frère et la sœur regrettent leurs années passées dans l'Innviertel et cela tend leurs relations avec le père. Fille et sœur de taiseux, ainsi que les paysans sont souvent caricaturés, Martha ne tarde pas à devenir complètement muette — au propre et au figuré — car il y a une part d'indicible dans leur histoire. Une lecture “politique” serait de comprendre leur silence comme le signe de la culpabilité inavouée et inavouable d'une société autrichienne qui n'a pas connu la dénazification et qui pour cela resterait maudite. Mais n'est-ce pas une fausse route puisque Goldberger a déjà été sanctionné ? Il reste que le sens de la faute est bien curieux chez Ferdinand : un quart d'heure de retard pour l'exécution du prisonnier polonais lui paraît plus coupable que d'avoir ordonné de tirer...

 

Chez les Goldberger on ne lit pas Mein Kampf mais la Bible. C'est la lecture de tous. Et le vieux Ferdinand y a coché une formule de l'Exode affirmant que Dieu punit les crimes des pères jusqu'à la troisième et quatrième génération. A l'article de la mort il demande à tous ses proches de lui donner leur pardon. Il a tenu un carnet avec un arbre généalogique que Ferdinand fils retrouve et complète... La troisième génération, c'est-à-dire les petits-fils du nazi, n'a pas de descendants. Apprenant la mort de son frère Paul en Bolivie, Thomas qui n'a pas eu d'enfant avec Sabine, peut estimer que la malédiction s'est éteinte désormais. Or, dans la dernière partie surgit un adolescent, le jeune Ferdinand Goldberger, un fils que Paul a laissé derrière lui au moment de sa fuite vers l'Amérique latine, et qui a été élevé par ses grands-parents maternels résidant loin de Rosental. Au premier contact, Anna voit en lui « le septième maillon de la chaîne ». De quoi s'interroger à la ferme sur le sort ultérieur de la lignée maudite. Mais ce troisième Ferdinand semble se plaire à la campagne. Après avoir passé quelques années de labeur et de bonheur sur la ferme avec Thomas, voici qu'il part pour Vienne où l'attendent des études d'agronomie. Comme son père. Et comme l'auteur. On ne doit pas cacher aux lecteurs que Reinhard Kaiser-Mühlecker a déjà publié la suite de cette saga, ni qu'elle paraîtra en France sous le titre Lilas Noir

 

Reinhard Kaiser-Mühlecker : Lilas rouge. Traduit par Olivier Le Lay. Verdier, 2021, 695 pages. [Roter Flieder, Hambourg, 2012].

=> L'ouvrage fait partie de la sélection du prix Médicis 2021 pour les romans étrangers.

 

Tag(s) : #LITTERATURE ALLEMANDE
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