Le nouveau roman de Jean-Baptiste Del Amo enrichit le rayon d'une littérature brutale mais parfaitement écrite. C'est une tragédie élémentaire — le père, la mère, le fils — avec un anonymat seulement brisé par la figure de Tony, l'ami du père et l'amant de la mère. Elle se déroule à l'écart de la ville dans une montagne sauvage où l'homme est rare mais où l'ours pourrait surgir, une montagne qui abrite peut-être encore une grotte inviolée depuis le passage des hommes de la préhistoire..
D'emblée c'est la montée vers la vieille ferme des Roches. Un arbre barre le chemin : il faut laisser le break et continuer à pied, porter les bagages par des sentiers difficiles pour arriver à la vieille bâtisse au toit de lauzes et sans confort. Ni la mère ni le fils n'imaginent qu'ils sont venus dans ce refuge pour longtemps. Le paysage de montagne n'attire pas la mère. Le fils par contre commence à s'y intéresser, poussé qu'il est par son père. Mais que sont-ils venus faire là et pour combien de temps ? La grange très outillée avec son générateur d'électricité et pleine de réserves alimentaires semble indiquer un séjour d'au moins quelques semaines...
Le récit se dédouble entre ce séjour en montagne qui pourrait de prime abord s'apparenter à un vivifiant stage en pleine nature, et l'évocation très progressive de l'histoire familiale. Le père avait quitté le foyer conjugal, laissant cinq ans durant la mère se débrouiller pour élever le fils. Le fils a huit ans quand le père revient. Il lui faut amadouer ce fils qui l'accepte à peine : le passage à la fête foraine de la petite ville ouvrière cherche à briser la glace entre eux. Le fils fait alors la confidence des visites de Tony durant ces cinq années où le père avait disparu. Sans doute en prison, suppose le lecteur. Le père dévoile son enfance rude aux Roches au temps où le grand-père travaillait dans une scierie et, après sa mort, le père avait réparé le refuge et stocké vivres et matériaux, quasi clandestinement.
Avec habileté, l'auteur a placé le fils au centre du récit : on voit le gamin s'entretenir avec sa mère ou avec son père mais les parents parlent peu entre eux. Il est clair que ce père réapparu sans crier gare fait peur avec son obstination qu'on dirait marquée au sceau du survivalisme. Surtout que la mère révèle qu'elle est enceinte. De Tony évidemment. Or le père semble tenir à son couple. Le printemps passe. L'été aussi. Le fils voit s'éloigner la rentrée scolaire et la mère son nécessaire suivi médical... Il faudrait redescendre dans la vallée. Mais le père semble sourd à toutes ces considérations. La peur s'installe. La violence du père peut se transmettre au fils. Le romancier nous fait imaginer les événements les plus terribles...
La nature, l'enfance, la mère, la violence : autant de thèmes que Jean-Baptiste Del Amo a su mobiliser pour ce roman marquant de la rentrée littéraire 2021, et qu'on n'est pas près d'oublier.
• Jean-Baptiste Del Amo. Le fils de l'homme. Gallimard, 2021, 238 pages.