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Au début règnent le malheur et la misère en terre allemande. L'impératrice Marie-Thérèse offre des espaces à coloniser dans une province nouvellement conquise sur les Turcs. En 1770 Georg Kempf, lointain ancêtre du héros, descend le Danube en compagnie d'autres migrants. Ils s'installent dans l'est de la Slavonie. Des générations plus tard ils sont devenus des Volksdeutsche que le régime nazi recrute. Vu leur origine géographique ils sont désignés sous le nom de Souabes. Le roman raconte la vie de l'un d'entre eux, lui aussi nommé Georg Kempf, né en 1919 au moment où la vieille monarchie danubienne a éclaté laissant, dit-on, la Mitteleuropa d'aujourd'hui dans la nostalgie.

 

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L'essentiel du livre est consacré aux tribulations du soldat Kempf durant la Seconde guerre mondiale. En 1941 le Reich allemand étend son influence vers le sud. Kempf est incorporé aux Waffen-SS, dans le régiment Galizien. Il va se battre sans enthousiasme en Pologne contre les maquisards qui résistent au nazisme. Il n'a rien du fanatisme des soldats de Himmler. Il se débrouille pour ne pas faire partie du peloton d'exécution d'otages civils. Et puis déserte pour les beaux yeux d'une infirmière, Ania, agent infiltré de la résistance polonaise. Il se cache dans les forêts et erre de ferme en ferme, croisant des Juifs échappés de Treblinka. C'est l'époque de la bataille de Koursk qui a vu les Soviétiques faire la preuve de la supériorité numérique de leurs chars. L'Armée Rouge avance vers l'ouest, et Kempf qui n'a pas pu rejoindre la résistance nationaliste se retrouve dans la résistance communiste. La capitulation allemande au printemps 1945 lui permet de rejoindre en vélo sa région natale.

 

Une dernière partie voit Kempf épouser Vera, une résistante communiste convaincue, dont les camarades avaient été exterminées par les collabos croates des nazis. Après 1945, la Yougoslavie nouvelle est en pleine révolution. Le couple que forment Kempf et Vera capote très vite après la naissance d'un fils — l'auteur du roman. Le divorce intervient en même temps que la Yougoslavie de Tito est répudiée par Moscou. Kempf tente de vivre de poésie mais reste « un petit poète ». Il sombre durablement dans l'alcool et la Yougoslavie dans la guerre civile d'où émergera la Croatie actuelle.

 

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L'auteur est connu pour ses œuvres théâtrales. L'originalité de son “roman” touche à la fois la forme et le fond. Avant d'aborder le moment où Kempf et Vera forment un couple, le narrateur intervient régulièrement comme enfant non-encore né, s'inquiétant des aventures du soldat Kempf et du sort de la résistante Vera — ses futurs parents. Cela se traduit par des sortes d’à-partés plus ou moins longs et marqués dans la typographie, voire comme l'intervention du choeur dans une tragédie grecque.

Partant pour la Pologne Kempf en a acheté le guide Baedeker. Kempf n'est pas un fanatique. C'est un homme qui doute. Le temps passé sous l'uniforme noir a permis à Kempf de connaître les exactions contre la population polonaise et contre les Juifs. Il est marqué par la visite d'un ghetto détruit après avoir été vidé de tous ses habitants, destination Auschwitz. Il est témoin tout autant de l'antisémitisme des Polonais que de l'aide que d'autres Polonais procurent aux Juifs.

Il doute mais il est aussi sensible à l'injustice. Alors que ses compatriotes devenus soldats du Reich ont péri à Stalingrad ou ailleurs, il est parfois regardé comme une bête curieuse : un ancien SS — mais cela reste caché à la plupart — devenu grâce au certificat que lui a laissé un commissaire politique rouge, un citoyen théoriquement accepté par la nouvelle société communiste. Mais en pratique Kempf s'isole après son divorce et se réfugie dans les livres qu'il dévore. Notamment Guerre et Paix. Sa fuite dans l'alcoolisme semble la traduction de cet isolement — tous les camarades d'école ont disparu — et il reste comme accablé par le fait d'avoir porté l'uniforme des Waffen-SS. La « réparation du monde », formule issue de la mystique juive à lui expliquée par un réfugié errant, n'a pas eu lieu.

 

Slobodan Šnajder : La réparation du monde. Traduit du croate par Harita Wybrands. Liana Levi éditeur. 2021, 619 pages.

 

Tag(s) : #EUROPE CENTRALE ET BALKANIQUE, #CROATIE
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