Le titre ! C'est le titre qui m'a fait rechercher et ouvrir ce roman oublié enfoui au fin fond de ma bibliothèque — bien après avoir mis en ligne une présentation de ce thème pictural.
Le Virginal — aucun rapport avec un instrument de musique, c'est l'anagramme de Grainville ! — a quitté les bords de la Manche pour les rives du Pacifique à Los Angeles, du côté de Venice. Son atelier ouvert sur la plage attire de jolies modèles et des élèves des deux sexes recrutés parmi les “cas sociaux” de la métropole californienne. Sous couvert d'amour de l'art et d'action sociale, le Virginal est en fait un obsédé sexuel. Il ne peint pratiquement que des nus, tant masculins que féminins, et tyrannise ses élèves et ses muses, encourageant les rivalités professionnelles et amoureuses.
Le Virginal se situe fièrement dans l'héritage de Van Eyck et de Rembrandt. Ses portraits et ses nus remportent un franc succès depuis qu'il s'est installé à Los Angeles. Il a comme clients des membres de l'élite locale, tel Dirk l'ingénieur de la Silicon Valley ou Adalberto l'entrepreneur mafieux qui a ses contacts avec les gangs dont les chefs viennent poser. Mais curieusement, le milieu du cinéma ne figure pas dans les relations du peintre qui affirme œuvre après œuvre et dans son enseignement la transmission de l'art occidental. Avec ses élèves préférés, Horace et Ruth, il a entrepris de peindre une version dénudée des Époux Arnolfini. C'est un grand mérite au milieu des années 80 quand triomphaient l'abstraction, le pop art, et les installations insignifiantes. Dans un chapitre fort ironique l'auteur imagine un couple de plasticiens d'avant-garde qui entreprennent une colossale installation sur la plage proche de l'atelier du Virginal, comme une vaste provocation contre son art hérité d'un autre âge. Les hilarants époux Tuturitchie construisent ainsi une œuvre destinée à contenir des offrandes du public angelino avant de tout faire exploser et vendre les débris du « potlatch » pour se financer. Mais Tuturitchie ne vivra pas assez longtemps pour en profiter.
Les rivalités, les jalousies explosent dans l'atelier. Périodiquement des élèves sont tentés de claquer la porte du maître excessif. Temple vend ses premières œuvres à Rome et quitte le Virginal pour vivre et peindre à Venise. Promis à la succession du Français, Horace est venu au Caire pour une exposition d'artistes de trois continents, il y apprend la fin dramatique de son maître et doit rentrer en Californie pour prendre en main l'atelier. Alors seulement on ouvrira le cabinet secret du maître...
L'auteur a probablement nui de deux façons à son œuvre ; pour la forme en multipliant les passages lourds d'accumulations et de phrases non verbales, pour le fond en multipliant de pesantes scènes pornographiques dont on se demande si elles ne viennent pas plutôt cacher les insuffisances de l'intrigue qu'attirer les voyeurs. Quelques îlots dignes d'intérêt émergent néanmoins du ressassement copulatoire.
Malgré diverses remarques sur le tableau de Jan van Eyck et les autoportraits de Rembrandt, le lecteur ne trouvera pas dans ce roman d'analyses renversantes de la peinture occidentale. Certes, de célèbres tableaux de nus sont évoqués page 378, mais cela tient plus du “name dropping” que de l'analyse esthétique. Le tableau de Dali qui sert d'illustration de couverture — de l'édition originale comme de l'édition de poche — n'a en fait aucune place dans le roman. La pornographie semble avoir été l'objectif principal du romancier bien avant la peinture d'un atelier d'artiste.
• Patrick Grainville : L'Atelier du peintre. Seuil, 1988, 394 pages.