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La Restauration des Bourbons fut un choc pour de nombreux Français. Tous ceux qui avaient applaudi aux changements apportés par la période révolutionnaire et par l'aventure napoléonienne tombaient de haut devant le spectacle de la réaction encouragée par les ultras. Même si Louis XVIII a eu tendance à freiner l'ardeur des ultras, l'assassinat du duc de Berry par Louvel en 1820 donne au gouvernement matière à réprimer durement ses opposants.

 

Professeur à la Sorbonne et président de l'Institut Napoléon, Jacques-Olivier Boudon connaît bien le monde des soldats de l'Empire tant il a dépouillé les archives du Service historique de la défense (Vincennes) et leur trouble consécutif à la défaite et à la disparition de l'Empereur. Originaire de Naples au temps de Murat, la charbonnerie s'est répandue à travers la France comme un modèle de société secrète subversive : les républicains s'y retrouvent, qu'ils soient libéraux ou jacobins, avec les nostalgiques du Corse, dans une opposition farouche au régime des Bourbons. Civils comme militaires forment des « ventes », sortes de cellules locales prêtes à répondre aux ordres venus d'en-haut. Impulsée notamment par les généraux Lafayette et Foy, liée à la loge des Amis de la Vérité de Buchez et à l'association des Chevaliers de la liberté, la « vente suprême » cherche à susciter des soulèvements militaires, tel celui du général Breton à Saumur.

 

Au début de l'année 1822, le 45è régiment de ligne est travaillé par les mots d'ordre des carbonari parisiens et son chef, le colonel Victor Toustain de Fontebosc un ancien émigré tarde à en prendre conscience. Après un banquet au restaurant Au roi Clovis sur la Montagne Sainte-Genevière, les sous-lieutenants Bories, Pommier, Goubin et Raoulx — tous natifs de province — ont commencé à noyauter le régiment avant de quitter Paris, puis en cours de route comme à Niort. Finalement, ils sont arrêtés peu après leur arrivée à La Rochelle, le général Despinoy, chef la 12è région militaire, ordonnant le transfert de Bories à Nantes. Les militaires inculpés sont emprisonnés à la Tour de la Lanterne qui domine le port de La Rochelle. Du fait que l'enquête — à laquelle se mêle le colonel Toustain — montre le rôle de civils venus de la capitale tel le chef carbonaro Baradère, l'instruction est délocalisée sur Paris, au profit de la justice civile. De ce fait, les quatre sous-officiers reconnus coupables seront guillotinés et non fusillés comme le général Berton à Poitiers, à l'issue d'un procès parallèle.

 

Au total, les vingt-deux accusés ont été jugés aux assises de la Seine par des juges et un jury nettement conservateurs. Les quatre sergents ont été condamnés à la peine de mort, les autres — tant civils que militaires — étant soit acquittés soit condamnés à des peines légères. Les avocats ont montré la faiblesse des preuves voire leur absence, car il n'y a pas eu prise d'armes, mais seulement des contacts entre carbonari, lors de banquets dans des auberges, pour tourner l'interdiction des réunions politiques. Des carbonari ont tenté de discréditer les jurés dont ils ont fait circuler les noms ce qui leur a valu un procès, tout comme aux quatre journaux libéraux qui ont rendu compte du procès. L'exécution capitale en plein jour et en place de Grève le 21 septembre 1822 (trente ans après la chute de la monarchie) a largement contribué à la mise en question de la peine de mort dans le pays. Cette étude nous permet aussi de mieux comprendre comment les révolutionnaires de 1830 seront les héritiers de la charbonnerie et n'auront pas de programme précis. En conséquence, sous Louis-Philippe, ils se diviseront violemment entre libéraux et révolutionnaires. Blanqui, qui a assisté aux exécutions, deviendra l'adversaire de toute monarchie même constitutionnelle.

 

Outre des allusions dans la création littéraire­ — comme chez Balzac et Dumas —, l'auteur montre la mémoire de la France de gauche, pour commémorer ce « dernier crime de la monarchie » à travers le XIXe siècle et jusqu'au centenaire en 1922. En appendice, les biographies des personnages impliqués dans cette affaire illustrent d'intéressantes mobilités dans l'armée impériale et royale ainsi que dans la justice et la vie politique. L'ouvrage est particulièrement destiné aux amateurs d'histoire politique très détaillée et fondée sur les archives institutionnelles.

 

Jacques-Olivier Boudon : Les quatre sergents de La Rochelle. Le dernier crime de la monarchie. Passés Composés, 2021, 283 pages.

 

Tag(s) : #HISTOIRE 1789-1900
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