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Docteur en Histoire, professeur à l'université de Nice, Ralph Schor donne à découvrir, d'une plume alerte, la vie d'environ deux-cents écrivains et artistes américains à Paris dans l'entre- deux guerres.
La « Ville lumière », le « nombril du monde » pour Arthur Miller, symbolisait la liberté, la créativité sans entraves pour cette « génération perdue » comme la surnomma Gertrude Stein.Tous ces jeunes de moins de quarante ans, blancs et noirs, en quête d'accomplissement personnel et de statut social, fuyaient l'Amérique matérialiste, intolérante et conformiste. Ce pays sans passé ni culture laissait peu de place à la vie de l'esprit : seuls comptaient le travail et l'argent : tout pauvre y était vu comme un taré, dixit Miller.
Frustrés, révoltés par « le puritanisme américain... la répression des idées et des comportements sortant des sentiers traditionnels » les écrivains fustigeaient l'omniprésence de la censure, la vie des noirs en ghettos, victimes de nombreuses humiliations racistes comme en connut J. Baker. Certains s'engagèrent dans la guerre pour découvrir un autre monde : G. Stein devint ambulancière, l'héritière des Singer aida Marie Curie « à aménager des véhicules radiologiques ». Tous idéalisaient volontiers la France, un pays tolérant et généreux, un pays ouvert d'esprit qui attribua en 1921 le prix Goncourt à l'écrivain martiniquais René Maran pour son roman Batouala.
Paris séduisait ces jeunes Américains autant par la beauté de ses sites historiques, par ses musées, ses spectacles que par ses cafés et ses quartiers populaires. Paris c'était le creuset de toutes les transgressions — l'alcool, le sexe ou la drogue —, en toute liberté, où chacun pouvait être lui-même, où l'homosexualité féminine n'était pas montrée du doigt. Les Américains appréciaient le sens de la mesure des Parisiens, leur esprit critique, leur goût du raffinement et de l'élégance... Néanmoins nombre d'entre eux déploraient leur individualisme et le racisme toujours présent après 1918 : Paul Souday, célèbre critique littéraire n'affirmait-il pas dans le journal Le Temps, que « c'est bien la race blanche qui a créé la civilisation » ? Par ailleurs la société de consommation américaine commençait à s'exporter et la « génération perdue » redoutait cette influence qui menaçait Paris.
Si leur quotidien ne fut pas tout rose, si la plupart de ces artistes, Scott Fitzgerald excepté, vécurent dans la précarité de petits boulots — comme Henri Miller plongeur en restaurant —, il n'en reste pas moins que tous ont vécu à Paris un exil fondateur. Tous ont trouvé leur voie à travers des expériences d'écriture ou de peinture, du Réalisme au Surréalisme. Paris fut « la toile de fond naturelle pour l'art et la littérature au XX° siècle » selon G. Stein.
Cet essai très documenté met en lumière ce qui a pu échapper aux historiens : c'est à Paris, dans l'entre-deux guerres, que de nouveaux modes de pensée, des écritures, des créations artistiques inédites, ont vu le jour.
• Ralph Schor. Le Paris des écrivains américains, 1919-1939. Perrin, 2021, 250 pages.
Chroniqué par Kate