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Alors que le PC chinois vient de fêter ses cent ans, retour sur une grande figure de l'histoire de la Chine. Quinze ans après sa mort Sun Yat-sen a été qualifié de Père de la nation en 1940 et dans les années 1980 il a fourni une caution historique à Deng Xiaoping qui menait alors une politique d'ouverture des provinces littorales aux investissements des capitalistes étrangers. Avec l'étude (1994) de Marie-Claude Bergère, professeur à l'INALCO et directrice d'études à l'EHESS, la vie et l'action de Sun Yat-sen ne gardent plus guère de secrets. Son ouvrage est devenu un classique.

 

Né en 1866 dans un village proche de Canton, Sun Yat-sen a été formé par des missionnaires protestants à Hong Kong puis a rejoint son frère à Hawaï. La situation interne et internationale de la Chine fait de lui d'abord un partisan des réformes : le sud de la Chine reste secoué par le souvenir de la révolte des Taiping, le Japon s'empare de Taiwan en 1895 et montre la voie de la modernisation, tandis qu'à Pékin l'impératrice Cixi annule les réformes prises lors des Cent Jours de 1898 par l'empereur Guangxu à l'initiative du réformateur cantonais Kang Youwei. Par réaction, Sun Yat-sen devient un révolutionnaire et tente un premier soulèvement à Canton — d'autres suivront et échoueront ! Il est relation avec les sociétés secrètes (les triades) qui lui fournissent des hommes, avec les Chinois d'outremer qui le financent : Hong Kong, Taiwan, Hawaï, Singapour, Tokyo (notamment de 1897 à 1900), et même Londres voient passer Sun Yat-sen en quête de soutien. Il devient ainsi un révolutionnaire professionnel financé par la Chine bleue — la Chine du littoral et de la diaspora.

 

Après le choc de l'insurrection des Boxers, il fonde la Ligue jurée en 1905 dans un climat révolutionnaire caractérisé par l'agitation étudiante et la multiplication de pamphlets hostiles aux mandchous, inspirés par le grand lettré Zhang Binglin nostalgique de la dynastie Ming que les Mandchous avaient renversée en 1644. La fondation de cette Ligue jurée à Tokyo doit beaucoup aux amitiés japonaises de Sun Yat-sen, notamment Miyazaki Torazô qui reste son principal conseiller pendant plusieurs années. Renverser les Mandchous et prôner le pan-asiatisme sont les buts de Sun Yat-sen, mais cette Ligue jurée est très composite et divisée. Sun Yat-sen crée alors une idéologie révolutionnaire, les trois principes du peuple ou Triple Démisme : renverser la dynastie, développer le nationalisme dans un cadre démocratique, assurer le bien-être du peuple.

 

De 1907 à 1911 on dénombre pas moins de huit rébellions organisées par Sun Yat-sen dans le sud de la Chine, notamment à la frontière du Tonkin où il trouve momentanément des alliés auprès de militaires français, avant d'en rechercher d'autres à Singapour dans la minorité chinoise. En octobre 1911 la Révolution éclate à la suite de l'insurrection de Wuchang — dans laquelle Sun Yat-sen n'est pour rien — elle aboutira à l'édit impérial d'abdication du 12 février 1912. La Révolution oblige Sun Yat-sen à rentrer de voyage aux États-Unis et à Londres. Il débarque à Shanghai le 25 décembre 1911 et sa popularité conduit à son élection à la présidence de la République. Mais devant le risque d'éclatement du pays, et jugeant qu'un temps de gouvernement autoritaire est nécessaire, il démissionne pour lancer la place à Yuan Shikai qui depuis Pékin dirige le pays jusqu'en 1916. Sun Yat-sen obtient le transfert de la capitale à Nankin mais Yuan Shikai reste à Pékin où il est investi le 10 mars 1911 dans ses fonctions présidentielles. La dynastie mandchoue étant écartée, Sun Yat-sen s'occupe alors surtout de concevoir des plans de développement de la Chine, notamment des projets ferroviaires grandioses.

 

Le Guomindang a tenu son congrès de fondation le 25 août 1912 : il regroupe les partisans révolutionnaires de Sun Yat-sen et du leader shanghaïen Song Jiaoren qui modère le programme pour avoir un soutien électoral plus large. Son succès est tel qu'il devrait assurer à Song Jiaoren les fonctions de Premier ministre. Mais il est assassiné le 22 mars 1913 par les sbires du Yuan Shikai alors que Sun Yat-sen est au Japon dans l'espoir de trouver des investisseurs et des prêts bancaires : la dérive autoritaire doit être stoppée avant qu'elle ait abouti à la dictature militaire : Sun Yat-sen compte pour cela aussi sur un soutien japonais et il flatte le pays qu'il qualifie de sa « seconde patrie » en même temps qu'il dénonce « la civilisation barbare d'Europe et d'Amérique ». Mais les prétentions des Japonais seront exorbitantes et donc refusées par le gouvernement chinois.

 

Pour reprendre l'initiative Sun Yat-sen compte sur les forces sudistes, sa base de Canton : mais il n'y aura pas de Seconde Révolution en 1913, car Pékin reprend en main les provinces et leurs gouverneurs, et tente de dissoudre le Guomindang. Sun Yat-sen doit même s'exiler. La mort de Yuan Shikai en juin 1916 n'assure pas le retour de l'unité nationale. Sun Yat-sen est marginalisé quelque temps. Il vit alors une sorte de « traversée du désert ». Il achète une maison à Shanghai et épouse Song Qingling qui a la moitié de son âge ; une de ses sœurs, Song Meiling épousera le général Chiang Kai-shek ; leur père, un riche commerçant, finançait le parti nationaliste. Pour honorer la mémoire de Sun, le régime communiste donnera à sa veuve le titre de vice-présidente de la République populaire !

 

Revenu à Canton, Sun Yat-sen continue de rêver de reconquêtes à partir du sud vers le nord. D'abord opposé à l'entrée en guerre contre l'Allemagne au côté des Alliés, il change d'avis en septembre 1917. Quand les Alliés se réunissent à Versailles pour rédiger les traités de paix, la jeunesse nationaliste chinoise se révolte le 4 mai 1919 sans émouvoir Sun Yat-sen qui pourtant cherche à se rapprocher des mécontents des traités de Paris, surtout de la Russie de Lénine. Le Komintern expédie à Canton l'agent Borodine pour l'inciter à coopérer avec les premiers communistes chinois : entre 1920 et 1924, Sun Yat-sen louvoie avec les objectifs communistes. Leur projet de réforme agraire effraie une bonne partie des adhérents du Guomindang. Le leader chinois popularise le Triple Démisme — qui insiste sur le destin de la “race” chinoise plus que sur sa conception de la démocratie — au fil de conférences qu'il donne jusqu'en 1924— tandis que ses plans de campagnes militaires n'ont aucun succès. La création de l'académie militaire de Whampoa, près de Canton, va former des officiers auxquels les conseillers communistes apporteront armes et idées marxistes.

 

Selon l'auteure, Sun Yat-sen n'est pas un idéologue : pour promouvoir son Triple Démisme il grappille quelques idées simples à des auteurs de seconde zone, par exemple des critiques de Marx, et finalement c'est surtout un opportuniste. La preuve en est qu'en 1925 il lâche sa base de Canton pour tenter de se faire proclamer président de la république à Pékin, suite à la vacance du pouvoir : le général Feng Yuxiang s'est emparé de la capitale, en a chassé le gouvernement de Wu Peifu, et le 1er novembre a invité Sun Yat-sen à une conférence de réunification nationale. Mais depuis quelques mois le leader chinois est atteint d'un cancer et à peine arrivé à Pékin, il meurt le 12 mars 1925. Le gouvernement nationaliste de Chiang Kai-shek organisera le culte de Sun Yat-sen. Le 1er juin 1929, son cercueil sera transféré au Mausolée des montagnes pourpres près de Nankin.

 

• Marie-Claire Bergère : Sun Yat-sen. Fayard, 1994, 538 pages. 

 

Tag(s) : #CHINE, #HISTOIRE 1900 - 2000
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