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Dans ce joli récit à l'écriture fluide, Akira Mizubayashi mêle au réalisme historique le plus noir la poésie du conte et le charme du fantastique. Même si l'auteur aborde la question du souvenir douloureux et du deuil impossible, la littérature et la musique rapprochent les hommes et constituent de précieux facteurs de résilience.
Le 6 novembre 1938 à Tokyo, un japonais professeur d'anglais, Yu Mizsawa et trois étudiants chinois, Kang, Chen et la jeune Yanfen répètent la Rosamonde de Schubert. Rei le fils de Yu les écoute tout en lisant son livre « Dites moi comment vous allez vivre ». En cette période d'expansionnisme japonais, aucun d'entre eux n'adhère à l'esprit nationaliste ; le Japon n'est à leurs yeux qu' « un monstre immaîtrisable ». On les soupçonne de communisme. Surgissent cinq militaires : le caporal Tanaka frappe Yu et brise son violon. Réprimandé par Kurokami, son lieutenant, il se justifie : « j'ai voulu corriger un hikokumin — traître à la nation — un communiste qui fait de la musique avec des Chinetoques alors que nous sommes en guerre !» Tous sont emmenés au Q.G. ; la police militaire perquisitionne chez Yu et découvre « pleins de livres dangereux » : Yu est accusé « d'être contaminé par les idées des rouges et de contaminer les autres »...
Rei terrorisé, s'est réfugié dans une armoire : mais Kurokami, fin mélomane, lui laisse le violon brisé de son père et s'en va. Au soir tombé, le jeune garçon rentre chez lui ; parvenu devant sa maison il attend son otoosan — son père — et partage sa solitude avec un chien shiba qui s'est pris d'affection pour lui sur le chemin...
Cette scène va hanter Rei à jamais. Il ne lui reste de son père qui sera torturé et exécuté que ce violon en miettes. Le restaurer sera sa vocation. Adopté par les Maillard, rebaptisé Jacques, Rei entreprend des études de luthier à Crémone puis à Mirecourt où il rencontrera Hélène, sa future épouse, elle-même apprentie archetière sur du pernambouc, ce bois brésilien très recherché. Installé à Paris le couple apprend que Midori Yamazaki, qui vient d'obtenir le premier prix du concours national de violon, n'est autre que la petite-fille de Kurokami. Soixante cinq ans après, Rei lui fait don du violon de son père. C'est la musique qui inspire ce beau geste : en rapprochant le vieux luthier et la petite fille du lieutenant mélomane elle efface le souvenir de la tragédie historique.
En voyage à Tokyo c'est encore la musique, celle du quatuor d'antan, qui amène Rei au chevet de Lin Yanfen : la vieille femme lui fait don de deux objets talismans : un cardigan que portait sa mère et le livre qu'il lisait dans l'armoire. Par ce geste elle restitue au vieil homme la présence de ses parents. Ainsi rassuré il peut s'atteler à la traduction en français de ce livre de jeunesse « pour mieux entendre la voix de son père » qui voulait faire de lui « un jeune homme capable de ne pas succomber à la folie collective ». « Rei avait fait du violon brisé l'objectif et la matière de sa vie ». Quand l'âme de l'instrument fut brisée, celle de Rei le fut aussi... Mais la musique et le livre l'ont sauvé.
Un bien joli conte sur le pouvoir magique de la musique et de la littérature pour le cœur comme pour l'esprit.
• Akira Mizubayashi : Âme brisée. Gallimard, 2019, et Folio, 2021, 259 pages.
Chroniqué par Kate