Le roman d'apprentissage prend souvent le chemin de l’université fréquentée par une jeune personne. C’est le cas avec L’Étudiant étranger de Philippe Labro, d’autant qu’est adopté le mode autobiographique. Comme dans La cour des grands de Michel Déon publié onze années plus tard, le séjour dans une université américaine est le résultat de l’attribution d’une bourse d’études à un jeune étudiant français. D’autre part, leurs séjours commencent la même année : 1955. Ce roman est bâti au rythme des trois trimestres de l’année universitaire et l’été venu il faudra en principe rentrer en France.
L’originalité du roman de Philippe Labro est d’abord d’initier à la vie universitaire aux États-Unis. Non pas en Nouvelle Angleterre, mais en Virginie, donc dans ce Sud encore très marqué par la guerre de Sécession, et à une époque où l’American way of life fait rêver les jeunes Européens. Bien sûr, roman oblige, l’éveil des sens et les premiers émois amoureux font partie du package !
Isolé sur le campus, le narrateur constate qu’il n’y a d’autre étranger que l’étudiant autrichien peu disert avec qui il partage son logement. Il cherche donc, dès l’automne à s’intégrer à cette société qu’il découvre, strictement masculine puisque l’établissement n’est pas un College mixte, et donc organisée en fraternités. Ainsi est-il invité à passer les vacances de Noël au Texas dans la famille d’un camarade. Inscrit à plusieurs cours il ne tarde pas à briller c’est-à-dire à collectionner les niveaux A. Il s’intéresse à la littérature américaine et découvre Faulkner lors d’une conférence à laquelle un journaliste lui suggère de se rendre. En effet, il participe au journal de l’université et fait des stages dans le quotidien du comté. Dans la mesure où le texte a une vérité autobiographique, Philippe Labro laisse ainsi deviner les origines de sa carrière de journaliste.
L’œuvre se situe dans l’Amérique du milieu des années cinquante, et de nombreux signes montrent l’actualité culturelle du pays : Salinger vient de publier L’Attrape Cœur et on se l’arrache. Elvis Presley fait un de ses premiers shows à la télévision, c'est la naissance du rock'n roll. Les premiers numéros de Playboy viennent de sortir. Les radios sudistes jouent uniquement de la musique country. Signe de l’époque aussi, les automobiles deviennent indispensables, notamment pour les rendez-vous avec les filles des collèges voisins, les dates. Notre étudiant acquiert une Buick d’un vert criard qu’Elizabeth en fille de l’aristocratie bostonienne qualifie de « californien » ce qui dans sa bouche est très, très, négatif.
C’est l’Amérique qui vient d’envoyer ses boys en Corée, et le College accueille ainsi en formation des soldats revenus du combat contre le communisme. Ils sont logés dans le quartier des barracks, comme les professeurs non titulaires, loin des belles demeures des titulaires. Mais une ségrégation plus importante se fait vite remarquer au narrateur : tous les étudiants sont des Blancs. L’agglomération compte bien des Noirs, mais les deux cités sont séparés par le chemin de fer. L’apartheid est total. Le shérif expliquera au jeune Français que l’essentiel n’est pas la loi qui édicte que les gens sont libres, mais la « coutume », parce qu’ici dans le Sud c’est ça qui compte. En d’autres termes : ne va pas fréquenter les Noirs — ou plus exactement les « nègres », comme il dit.
Or le jeune étudiant étranger — une rareté dans cette région et à cette époque — a eu des relations coupables avec April qui est comme on dira plus tard une Afro-américaine. Il l’a rencontrée chez l’un de ses professeurs chez qui elle arrondissait sa paye en faisant des ménages. Cette liaison s’arrête avec l’hiver et est remplacée par une affaire impossible avec Elizabeth qui en l’espace d’une saison a troqué son look conventionnel pour une attitude de révoltée contre son milieu chic et bourgeois de Boston. Ainsi, la vie sentimentale de l’étudiant français n’a sans doute pas été une réussite, mais elle lui a fait prendre conscience de la fragmentation de la société américaine et la distance entre la upper class et les minorités de couleur.
Ce roman qui renvoie aux années cinquante présente ainsi un intérêt multiple. L’écriture de Philippe Labro fait toute leur place aux tournures américaines. L’auteur nous rend très présentes cette époque et cette société et bien qu’un demi-siècle et plus ait passé depuis les faits rapportés, son livre n’a pas vieilli. Peut-on déjà dire que c’est un classique du XXe siècle ?
• Philippe Labro. L’Étudiant étranger. Gallimard, 1986, 295 pages.