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Égyptien de naissance et fils d'imam, Hamed Abdel-Samad a d'abord été membre des Frères musulmans. Ses études au Caire l'ont amené à rompre avec cette organisation, à s'installer en Allemagne et à y enseigner. Un premier livre expliquant comment il est devenu athée lui a valu d'être menacé de mort par un professeur en Égypte à l'époque du président Morsi. Ce second essai — initialement paru en Allemagne en 2014 — affiche l'ambition d'analyser l'islamisme comme relevant du fascisme, mais il est loin de se limiter à cette comparaison et son ambition est grande.

 

La longue histoire de l'islamisme

 

Les Frères musulmans ont été les importateurs du fascisme en Égypte. Si le fascisme se définit par le refus de l'héritage des Lumières, par l'existence d'un guide infaillible, par une dictature sur les esprits les corps, le ressentiment général et la haine meurtrière de l'Autre, alors en effet l'auteur a raison d'attribuer l'étiquette « fascisme » à l'islamisme en général, à commencer par la confrérie des Frères musulmans.

 

• Hassan Al-Banna (1906-1940) fonda en 1928 la confrérie des Frères musulmans qui a tenu un rôle important dans l'histoire de l'Egypte contemporaine. Al-Banna admirait Hitler et Mussolini et sous l'influence des Frères musulmans et du mufti de Jérusalem Amin al-Husseini, l'antisémitisme s'est répandu au Moyen-Orient. On y prit Hitler pour un nouveau Messie qu'on priait de balayer les Anglais. Après la guerre son mouvement fut interdit et Al-Banna exécuté par la police en 1949. Au lendemain de la révolution qui provoqua la chute du roi, la rupture intervint entre Nasser et les Frères musulmans, car Nasser voulait établir un pouvoir socialiste tandis que les Frères réclamaient un État religieux. Ils furent réprimés par Nasser, revinrent en grâce sous Sadate, et furent à nouveau réprimés par Moubarak. Avec le Printemps arabe les Frères se servirent d'alléchantes promesses électorales pour accéder au pouvoir mais l'armée du général Al-Sissi renversa Mohamed Morsi, le « Moubarak barbu », évitant à l'Egypte l'application intégrale de la charia.

 

• Étudier les racines de l'islamisme demande de revenir plusieurs siècles en arrière. En plein Âge d'Or de Bagdad, Ahmad ibn Hanbal (780-855) fonda une école juridique ultraconservatrice, origine lointaine de l'islamisme. Passé le choc des raids mongols et le temps des Assassins, Ibn Taymiyya (1263-1328) fit du djihad, non seulement le moyen de chasser les infidèles, mais en plus un engagement permanent que les musulmans se devaient d'adopter face au reste du monde, idée reprise au XVIIIe siècle par Mohammed ibn Abdelwahhab. Suite à la chute de l'empire ottoman, la disparition du califat en 1924 amène le théologien Abul Maududi à rejeter la modernité en bloc. Celle-ci est souvent associée au mythe du complot juif.

 

• La question de l'antisémitisme se greffe alors sur l'islamisme. Le salafiste syrien Rachid Reda imaginait une conspiration internationale sous la conduite des Juifs et on prétendit en trouver la « preuve » dans Les Protocoles des Sages de Sion qui deviennent un best-seller tandis que Mein Kampf est lu avec enthousiasme. La fondation d'Israël et le choc d'un voyage dans l'Amérique libérale firent de Sayyid Qutb (1906-1966) le nouveau propagandiste de la domination absolue de Dieu sur terre, opposée à tout Etat-nation, démocratie ou souveraineté populaire — si bien que Nasser le fit exécuter. En 1950 il avait publié Notre combat contre les juifs où il affirmait que les Juifs conspiraient déjà du temps de Mahomet, et qu'Allah avait envoyé Hitler pour punir les juifs. Aujourd'hui le flambeau de l'antisémitisme c'est le Hezbollah libanais qui l'a repris, or cette organisation fasciste est une créature de l'Iran chiite. En somme, « n'importe quel parti qui se base sur la religion devient despotique ».

 

• Dénonçant l'islamisme, l'auteur n'oublie pas le régime des ayatollahs. Les Iraniens votèrent « oui » à Khomeiny comme si aucun d'eux n'avait lu L'Etat islamique qu'il avait rédigé en 1970 lors de son exil en Irak. Il a utilisé la démocratie pour la détruire après son accession au pouvoir. Le mot « takiya » désigne dans l'islam chiite l'autorisation de dissimuler sa foi en cas de menace. L'ayatollah établit une dictature basée sur les Pasdaran et la milice Bassidji que l'auteur compare aux SA et SS hitlériens. Dès 1979 il créa la Journée mondiale d'Al-Quds pour, à travers la solidarité avec les Palestiniens, œuvrer en faveur de la disparition d'Israël. Mention spéciale pour Ahmadinejad qui nia l'Holocauste et qualifia Israël de « tumeur cancéreuse ».

 

 

Les causes profondes de l'islamisme

 

Le virus du djihad. La complaisance à l'égard de la violence fait que l'islam présente un défaut de naissance : dès le départ l'islam a emprunté la voie de la violence. Le problème n'est pas ce qu'a dit ou fait Mahomet voilà 1400 ans, mais le fait que beaucoup de musulmans le voient comme un modèle pour les actes qu'ils accomplissent au XXIe s. Il a fait décapiter des centaines de gens sans défense. « Aujourd'hui on parlerait de crime contre l'humanité » comme on doit le faire pour qualifier les agissements de Daesh ou de Boko Haram.

 

• Ainsi, « ce ne sont pas les islamistes modernes qui ont inventé le concept de djihad, c'est le prophète Mahomet ». Loin de se limiter pas à une légitime guerre défensive comme celle de Saladin contre les Croisés, il s'agit d' « une mission divine » individuelle et collective. Ainsi « le problème c'est le djihad vu comme un but en soi ». Aujourd'hui encore, une des voix majeures du salafisme, le cheikh égyptien al-Houwayni, sait comment sortir le monde musulman de la stagnation économique : il n'a qu'à conduire de nouvelles guerres de conquêtes contre les non-musulmans. Le djihad durera tant que l'islam n'aura pas conquis le monde entier. Rien à voir donc avec le djihad conçu comme un travail sur soi, une valeur morale.

 

Le ressentiment face au déclin. L'auteur estime que le péché mortel des Ottomans – qui ont étendu leur empire sur une grande partie du monde musulman – est d'avoir refusé l'imprimerie, entraînant à terme le déclin par la faute d'une éducation rétrograde. « Entre Gutenberg et Zuckenberg se sont écoulés cinq cents années de savoir et d'expérience dont le monde musulman s'est, consciemment ou non, privé ». Ainsi s'éloigna l'âge d'or islamique puisque désormais seule la religion traditionnelle devait être enseignée, ouvrant la voie au repli et à la superstition. Tandis que l'Europe découvrait les Lumières, en pleine désert arabe Abdelwahhab (1703-1792) voulut imposer une lecture littérale du Coran.

 

• Pour l'État Islamique, alias Daesh, le califat qu'il proclame en 2014 est comme « une carte mentale » gravée dans la mémoire collective de l'islam, sur le modèle de la puissance militaire et économique atteinte entre le VIIIe et le XIe siècle, une époque où pourtant la charia n'était guère appliquée à Bagdad. Durant les derniers siècles l'âme du monde musulman aurait été perpétuellement outragée au point d'endosser le statut de victime c'est-à-dire de l'Occident puis de la mondialisation. Ainsi un mélange fatal entre victimisation et désir de revanche est devenu le moteur central de l'islamisme et donc de la radicalisation.

 

 

Une ambition : revenir à l'islam tolérant

 

• Revenir à l'islam tolérant des VIII-XIIe siècles à Bagdad ... est-ce possible ? Cela justifierait les plaidoyers présentant l'islam comme « une religion de paix » et qui ont fleuri comme une louable réaction après le 11 septembre 2001.

 

• Pour devenir une religion de paix l'islam doit se détacher de l'islamisme et donc d'abord renoncer au djihad, à la charia, à l'apartheid sexuel. Pour l'auteur l'avenir appartient au multiculturalisme, encore faut-il séparer clairement l'islam de l'islamisme et pour ce faire « c'est à tous les musulmans qu'il revient de s'affranchir du mode de pensée autoritaire de l'islam. ». Cela suppose de prendre de la distance par rapport à toute lecture littérale du Coran et de ses « deux cent six passages faisant l'apologie de la violence et de la guerre ». L'exégèse coranique est nécessaire afin de dépolitiser l'islam.

 

• La communauté doit abandonner le « délire de persécution », le sentiment « d'offense chronique », le ressentiment, accepter l'humour, mettre fin à « une lecture sélective de l'histoire », s'ouvrir sur le monde pour s'éviter « l'inceste culturel », cesser de se sentir offensé par le reste du monde et commencer à résoudre ses propres problèmes, notamment sociétaux comme l'apartheid sexuel et le fétichisme de la virginité. Le programme que prône l'auteur est ambitieux ! Il en appelle au « soulèvement des infidèles ». Il a créé une chaîne Youtube pour prolonger ses livres et ses conférences : « hamed.tv ».

 

 

Hamed Abdel-Samad : Le Fascisme islamique. Une analyse. Traduit de l'allemand par Gabrielle Garnier, Grasset, 2017, 299 pages.

 

 

Tag(s) : #ESSAIS, #SOCIETE, #MONDE ARABE, #LITTERATURE ALLEMANDE
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