Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Quand Mao déclencha la Révolution Culturelle, la Chine comptait de manière négligeable dans le concert des nations comme dans le commerce mondial. Les troubles commencés en 1966 la refermèrent encore plus sur elle-même. Que s'y passait-il exactement ? On ne disposait que de bulletins de propagande et aucune information objective ne filtra pendant longtemps. Pourtant avec l'iconoclaste essai Les habits neufs du Président Mao, Simon Leys nous avait plus éclairés que quelques perroquets maolâtres au service de l'idéologie officielle ou que divers témoins crédules. Ce n'était cependant qu'une interprétation rapide. Mais aujourd'hui, l'ancien journaliste chinois Yang Jisheng, déjà connu pour Stèles — un bilan du sinistre Grand Bond en Avant — ne nous permet plus d'ignorer l'histoire de cette décennie tragique où l'Empire du Milieu sombra jusqu'à la mort de son Grand Timonier.

Après avoir proclamé la République Populaire à Pékin le 1er octobre 1949, Mao Zedong resta un chaud partisan de la lutte des classes et un admirateur inconditionnel de Staline. Le rapport critique de Khrouchtchev devant le XXè Congrès du PCUS en 1956 fut le point de départ d'une rupture qui s'est ensuite élargie. Khrouchtchev fut qualifié de « révisionniste » et l'étiquette de « Khrouchtchev chinois » devint la nouvelle injure crachée à la figure des adversaires du maoïsme. Tous « les bœufs déments et les esprits serpents » — pour reprendre une expression fréquente chez les dirigeants comme chez les rebelles maoïstes — devaient être « soumis à la critique » dans une société où la propagande idéologique était envahissante au point de faire perdre toute pensée libre et personnelle. Intoxiquée par sa propre idéologie, l'élite dirigeante maoïste se croyait sur le point d'être attaquée par l'armée soviétique, aussi fit-elle bon accueil à Kissinger et Nixon en 1971-72 !

 

 

Le Grand Timonier et ses héritiers

 

Sorti pourtant amoindri de l'hécatombe provoquée par l'installation des communes populaires en 1958, Mao Zedong commença néanmoins à éliminer ses rivaux, tel le maréchal Peng Dehuai lors de la conférence de Lushan (été 1959) — où il est faux de dire que Mao fut mis sur la touche — puis Luo Ruiqing le chef d'état-major général de l'Armée (décembre 1965). C'étaient des proches de Liu Shaoqi que Mao pensait à contrer dès 1953 et décida de renverser dès janvier 1965. Lancée par la « circulaire du 16 mai » la Révolution culturelle a battu son plein de 1966 à 1968 et elle a permis l'élimination du président de la République Liu Shaoqi  ; comme il avait jadis connu des hommes du KMT il fut qualifié de « traitre et espion » par le 12è plénum du 8è Comité Central en septembre 1968 et remplacé comme successeur désigné de Mao par le maréchal Lin Biao.

Deux ans plus tard, un plénum du Comité Central élimina son fidèle Chen Boda et en octobre 1970, Mao jeta le soupçon sur les généraux proches de Lin Biao, cassant la puissante Commission Militaire Centrale (CMC), avant de mettre la pression sur Lin Biao lui-même. Celui-ci, craignant d'être éliminé par Mao, et embarqué par son fils Lin Liguo dans une vaine tentative d'élimination de Mao (alias « B-52 »), décida de fuir en famille, avec son épouse Ye Qun, à bord d'un Trident de l'armée chinoise qui s'écrasa en Mongolie le 13 septembre 1971.

Le Premier ministre Zhou Enlai qui croyait alors venue l'heure d'une gestion pragmatique avec Deng Xiaoping dut faire son autocritique en juin 1972. Tantôt penchant pour le chaos, tantôt penchant pour le retour à l'ordre, Mao incarnait le combat entre deux lignes et il sembla alors choisir comme successeur le gauchiste Wang Hongwen ; mais en janvier 1974 le 2è plénum du 10è Comité Central vit le retour et le triomphe — provisoire — de Deng Xiaoping promu au Comité Central, au Bureau Politique, à la CMC et à la tête de l'état-major de l'armée. Il lança alors le programme des « quatre modernisations ». 

 

La Révolution Culturelle et ses violences

 

Mao Zedong avait une idée fixe : la lutte des classes doit continuer car l'établissement du régime totalitaire ne suffit pas. Même si entre 1949 et 1962, tous les opposants possibles avaient été éliminés, même si le nivellement par le bas c'est-à-dire par l'appauvrissement généralisé établissait une société égalitaire sans classe, il fallait relancer périodiquement la lutte révolutionnaire contre d'imaginaires ennemis « révisionnistes », et « ennemis de classe » quitte à les inventer.

Mao encouragea ainsi dès mai 1966 à soumettre à la critique les « routiers du capitalisme », cadres qualifiés qui s'étaient épanouis dans la gestion de leur université, école, usine, ministère, ou administration quelconque. Liu Shaoqi et Deng Xiaoping lâchèrent ainsi contre eux à l'été 1966 des « groupes de travail » mais Mao Zedong préféra solliciter contre les cadres expérimentés le soulèvement tumultueux de la jeunesse lycéenne organisée en commandos de « rebelles révolutionnaires » qu'il fit défiler place Tian An Men. En publiant le 5 août 1966 son propre dazibao « Bombardons le quartier général » Mao avait donné le signal inspirant l'assaut des « gardes rouges » furieux, armés de bâtons — l'auteur en fut témoin car il était alors étudiant à l'université Qinghua. Bientôt les rebelles brandirent le Petit Livre rouge diffusé par Lin Biao, — un recueil de propos de Mao dont l'auteur n'évoque pas le contenu. 

La terreur s'abattait désormais sur le pays avec la destruction des « quatre vieilleries », la persécution des professeurs, le pillage des temples, brûlant les bibliothèques, détruisant les œuvres d'art du patrimoine national. Des milliers de cadres et de professeurs furent ainsi soumis à la torture, battus, humiliés, condamnés à faire l'avion pendant des heures. L'auteur donne des exemples de savants et de lettrés qui ont préféré se suicider. Le célèbre écrivain Lao She est décédé victime de mauvais traitements.

Les années 1967 et 1968 furent aussi marquées par des tentatives de cadres et de militaires pour mettre un terme au chaos (« contre-courant de février », ou mutinerie de Wuhan sous la direction du chef de la région militaire, le 1er avril 1967). Dans le même temps on assista à des relances de la révolution culturelle pilotées par le Groupe Central de la Révolution Culturelle où brillait Jiang Qing, ainsi en mai 1968 fut lancée la campagne de « purge des rangs de classe » qui a fait des dizaines de millions de victimes sur la base d'accusations injustes. Le Stade des ouvriers de Pékin abrita ainsi de mémorables "séances de lutte". En province, des batailles entre factions révolutionnaires firent des milliers de morts dans plusieurs grandes villes comme Canton, Wuhan, Chongqing. Les cadres étaient expédiés en rééducation, c'est-à-dire aux travaux forcés dans des fermes, ou dans les « écoles du 7 mai ».

Progressivement les militaires prirent le contrôle des Comités révolutionnaires créés dans chaque province (entre janvier 1967 et septembre 1968), poussant peu à peu sur la touche les chefs des gardes rouges des différentes factions, tandis que les rebelles qualifiés de « jeunes instruits » étaient poussés par millions vers les campagnes pour se faire rééduquer par les masses — opération où beaucoup de jeunes chinoises furent violées par des cadres locaux.

 

 

La fin de la Révolution culturelle

 

La liquidation de la Révolution culturelle fut assez rapide. La mort de Zhou Enlai le 8 janvier 1976 inspira à Mao à un dernier revirement : Deng perdit tous ses pouvoirs et fut remplacé par Hua Kuofeng comme dauphin parce qu'il le sentait plus révolutionnaire. A Pékin, puis dans les grandes villes, devant la passivité du pouvoir, des millions de personnes défilèrent pour rendre hommage à l'ancien Premier ministre, tout particulièrement le 4 avril à Pékin place Tian An Men. Cette manifestation fut réprimée : « c'était le premier incident de protestation de grande ampleur jamais survenu dans la capitale depuis la fondation de la RPC en 1949 » note Yang Jisheng.

Depuis longtemps impotant et à moitié aveugle, Mao Zedong mourut le 9 septembre suivant. Hua Kuofeng et Ye Jianying — chef du service d'ordre du palais — organisèrent vite le coup d'état du 6 octobre, marquée par l'arrestation de la Bande des Quatre : Jiang Qing (veuve de Mao), Wang Hongwen, Zhang Chunqiao et Yao Wenyuan dont le pouvoir était basé sur leur fief de Shanghai, le contrôle de la propagande la plus fanatique, mais nullement sur l'armée. En août 1977, Hua Kuofeng proclama la fin de la Révolution Culturelle devant le 11è Congrès du PCC puis s'effaça devant Deng Xiaoping qui reprit les commandes, tandis que le procès de la Bande des Quatre se termina en janvier 1981. Condamnée à mort, Jiang Qing se suicida en prison en 1991. Déjà Deng Xiaoping avait lancé les réformes économiques avec le succès que l'on sait, mais écarté toute démocratisation du régime. On connaît la suite... 

 

Ce livre d'une incroyable richesse, fourmillant d'anecdotes, citant de nombreux documents introuvables ailleurs en français, n'est pas d'une lecture facile en raison du grand nombre de personnages mentionnés (il y a 38 brèves notices biographiques en annexe), en raison aussi d'un plan qui semble souvent répétitif pour le récit des années 1966-1968 les plus fertiles en événements tragiques. Pourtant ce n'est que la version abrégée de l'édition parue à Hong Kong ! 

 

 

YANG Jisheng. Renverser ciel et terre. La tragédie de la Révolution culturelle. Chine, 1966-1976. Traduit par Louis Vincenolles. Éditions du Seuil, 2020, 902 pages. [Cosmos Books, 2016].

 

Tag(s) : #CHINE, #HISTOIRE 1900 - 2000
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :