Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

C’est avec une grande virtuosité que Nancy Huston, en bousculant les temporalités, aborde les grandes questions contemporaines telles la quête d’identité, les violences faites aux femmes, la prégnance des religions mais aussi les pages noires de l’histoire, de la traite négrière à l’Holocauste, du 11 Septembre à la guerre en Irak.

 

Deux familles bornent le récit. Pavel et Jenka Rabenstein, juifs venus de Tchécoslovaquie vivent dans le Bronx tandis qu’Eileen et David Darrington, bourgeois protestants, habitent dans le New-Hampshire. Traumatisée par les attouchements de son professeur de chant quand elle était petite, leur fille, Lily Rose vit mal dans son corps et multiplie les amants dès ses quinze ans. Devenue professeure de littérature et féministe, elle en vient à épouser Joël Rabenstein, le fils cadet devenu anthropologue. Ne pouvant avoir d’enfant, le couple choisit la gestation pour autrui et Selma, jeune métisse afro-américaine, comme mère porteuse. Ainsi naît Shayna, dont l’angoissante quête identitaire constitue toute la dynamique du roman. Refusant de considérer Lily Rose comme sa mère, elle part en pèlerinage à Baltimore où vit Selma Parker mais la rencontre n’aura pas lieu. En voyage à La Havane avec son père, un « homme beige de soixante-cinq ans », elle subit le racisme des cubains qui se méprennent sur leur couple : ils la traitent de « puta » , une femme lui crache aux pieds car « depuis la nuit des temps, des gens qui lui ressemblent baisent dans tous les sens des gens qui te ressemblent, Shayna ».

 

Dans ce roman étourdissant N. Huston convoque les tragédies de l’histoire. En imaginant les Rabenstein elle sensibilise le lecteur aux rituels juifs et à l’Holocauste puisque les sœurs de Jenka, la grand-mère de Shayna, sont mortes au camp de Terezin. En mettant en scène une mère porteuse noire c’est tout le passé négrier qui imprègne le récit. En lui racontant le commerce des esclaves au Bénin son amie Felisa révèle à Shayna le sens symbolique de leur départ de Ouidah où se dressait « un arbre magnifique » dont les futurs esclaves faisaient le tour. Ils lui confiaient leurs souvenirs jusqu’à leur retour. C’était « l’arbre de l’oubli », car il leur fallait oublier leur passé pour ne pas trop en souffrir. Mais nul n’est revenu...

 

Sayna trouvera enfin sa voie et « mettra un peu d’ordre dans son identité » grâce à Hervé, un médecin haïtien engagé dans une association caritative qui la persuade de l’accompagner à Ouagadougou. « Obsédée par le thème de la grossesse sur les plantations » elle montera avec lui une pièce de théâtre où une centaine de femmes noires accouchent mais « les enfants sont arrachés aux bras de leur mère » comme elle le fut aux bras de Selma. Pris dans le déchaînement de l’histoire mondiale, les personnages peinent autant à se comprendre qu’à comprendre les autres et chacun doit savoir oublier pour avancer.

 

Ce roman tourbillonnant où la polémique flirte avec l’émotion confirme, s’il en était besoin, la puissance créatrice de N. Huston.

 

 

Nancy Huston. Arbre de l'oubli. Actes Sud, 2021, 305 pages.

 

 

Chroniqué par Kate

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :