Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Emportant à l'arraché le prix Goncourt 1913 pour Le Peuple de la Mer devant Proust, Larbaud et Alain-Fournier, et fuyant bientôt Paris, Marc Elder s'est installé à Nantes en 1918 trouvant là l'inspiration dans le quartier portuaire. Anticipant de quelques années la création du prix du roman populiste en 1931, La Maison du Pas Périlleux transforme en héros littéraire une poignée de gens de peu entraînés vers la misère, l'alcool et la prostitution.

 

Des ruelles étroites descendent vers les quais de Loire, l'une d'elles porte le nom de Pas Périlleux en raison de sa pente et de ses pavés ronds et glissants. Là un vieil immeuble tout décati, édifié sous la Régence par un armateur aristocrate pour loger ses domestiques et des marins de passage, abrite dans sa décrépitude une petite troupe de gagne-petit et d'indigents. La Magourie et la mère Brandouille et sa fille Annette, la mère Rabu et sa flopée de rejetons, et leurs hommes tous adonnés à la dive bouteille : Magourie, Dabière et Cou-de-Poulet. Tous clients des cabarets aux noms inimitables comme La Bouteille Couronnée ou Le Pingouin Manchot. Tous vivant plus ou moins de rapines sur le port.

 

Au milieu de ce joli monde, émerge une figure mâle : « Brindezingue, César dominait la foule par sa verve ». « Il était sportif et lisait l'Auto ». Le beau César Tattevin, pour qui déjà « Zoé faisait recette », a séduit la belle Annette. C'est donc « un marlou » qui envoie la belle blonde faire le trottoir. La guerre venue, à l'été 14, César devient aviateur mais la gloire de l' « as » est éphémère : blessé à la jambe, amputé, Annette l'abandonne. Pendant ce temps les Tommies ont débarqué, puis les Sammies. Le café de la mère Cosique devient le Café de Chicago. Un autre devient le Bar de l'Alliance. Annette quittera le port au bras du capitaine d'un cargo américain. Marins en goguette et soldats en permission fréquentent les bouges. La traite des noirs a été remplacée par la traite des blanches.

 

Le romancier a suivi le fil conducteur du déclin d'un immeuble de rapport, accéléré après la Révolution par l'abandon de ses propriétaires. Pas de loyers, pas de réparations. Peu à peu, tout part en capilotade. Après une énième tentative d'expulsion au nom de l'hygiène publique, la bâtisse chancelante finira livrée aux démolisseurs... Cette intrigue toute matérielle conjuguée à la vie des bas-fonds et aux distractions populaires permet à l'auteur de faire briller sa maîtrise du langage populaire, orné de mots rares et désuets, de tournures familières et argotiques.

 

« Hein ! Mon président, vous l'avez vue la maison ! Y a pas à dire que c'est des menteries, vous l'avez vue, qu'une pauvre femme y met bas des enfants en plein vent, et que sans vous alle aurait peut-être péri dans les douleurs ! C'est-il qu'on n'est pas des citoilliens ? C'est-il qu'on fait pas des soldats comme les autres du populo, à seule fin de défendre les gensses à pognon ? » vitupère Dabière un peu anar, un peu patriote, au milieu d'une séquence émouvante qu'il conclut sur le chemin du cabaret voisin : « On connaît les usages, malgré qu'on n'a pas du linge verni et des croquenots où qu'on se mire ! »

 

 

Les gravures sur bois si caractéristiques de cette collection Le livre moderne illustré procurent une saveur particulière à ce roman d'un auteur quasiment oublié ; pourtant son nom a été donné à la petite place qui conduit au château de Nantes dont il fut le conservateur jusqu'à son décès en 1933.

 

Marc Elder : La maison du Pas Périlleux. - J. Ferenczi et fils éditeurs, Paris, 1924, 157 pages. Gravures de Dignimont. 

 

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :