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Les effets d’écho et les diverses typographies confèrent à ce long monologue une dimension théâtrale. Dans ces pages chargées de tendresse et d’admiration, Édouard Louis rend hommage à Monique, sa mère, qu’il n’a comprise qu’à l’âge adulte. Il se remémore la vie de cette femme victime de la violence sociale et de la domination paternelle avant de s’en libérer à la cinquantaine. Mais c’est aussi son enfance que l’auteur évoque par petites touches. Il écrit « contre la littérature conçue comme un divertissement ». « Pour expliquer et comprendre » sa mère « il aiguise chacune de ses phrases » car la littérature constitue pour lui une arme du combat social.

Ce livre, « c’est l’histoire d’un être qui voulait lutter pour avoir le droit d’être une femme ». Car devenir une femme fut une conquête pour sa mère.

Fille d’un ouvrier du Nord, enceinte dès ses dix-huit ans, elle n’a connu, avec ses deux premiers époux alcooliques et violents qu’une vie d’esclave « prisonnière de l’espace domestique ». L’auteur enfant ne comprenait pas les plaintes maternelles contre cette « vie de boniche » qui lui semblait « un état normal ». Ses parents ne comprenaient pas davantage  les « manières féminines » du petit Émile, ni ses copains qui moquaient son « anormalité ».

Tout a basculé quand l’auteur, devenu lycéen, a découvert le monde des « bourgeois » et a voulu « devenir comme eux ». Il s’est d’abord cru supérieur à ses parents ;  « transfuge de classe par vengeance, cette violence s’ajoutait à toutes celles que tu avais déjà vécues » confie-t-il à sa mère, honteux et contrit. Mais ce changement de monde lui a peu à peu fait prendre conscience de la violence coutumière de son milieu d’origine. Cette séparation, — lui à Paris, elle au village— les a rapprochés. Édouard Louis a compris le désir de Monique de quitter cette vie de servitude. Elle avait déjà connu trois années heureuses avec son amie Angélique, une employée de bureau ramenée par son père ; elle fut l’initiatrice d’un vrai « miracle social » selon son fils, apprenant à sa mère à prendre soin d’elle-même et à mieux s’exprimer. Plus tard la rencontre d’un nouveau compagnon et le départ loin du Nord ont provoqué la métamorphose de sa mère, devenue « une vraie parisienne ».

Même si elle peine à se faire accepter par les bourgeoises et reste victime de la violence de classe, son changement rassure l’auteur : enfin sa mère est heureuse et libre. Mère et fils, nés victimes et qui jadis ne pouvaient s’aimer, ont tous deux réussi en changeant de milieu social à se chérir et à s’offrir un avenir.

Honteux d’avoir eu honte de sa mère, Édouard Louis lui consacre ce livre inclassable où il fustige autant la violence sociale que la domination masculine. Sous la plume de cet écrivain engagé la résilience prend son vrai sens. On ne peut s’empêcher de rapprocher les propos  d’Edouard Louis de ceux d’Annie Ernaux, autre transfuge sociale.

 

• Édouard Louis. Combats et métamorphoses d’une femme. Seuil, 2021. 116 pages.

 

Chroniqué par Kate

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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