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Reprenant l'argumentation de La France périphérique et de No Society, le géographe médiatique se fait le champion des Gilets Jaunes dans cet essai que se veut pédagogique et pour cette raison reste un peu caricatural, comme tout bon pamphlet.
Dans une présentation new look et simplifiée de la lutte des classes, Christophe Guilluy se place à la portée des « gens ordinaires » pour leur expliquer que « le monde d'en haut », celui qui — dans une formule imagée utilisée par Jack London — habite « le salon » a fait sécession du monde d'en bas qui habite le rez-de-chaussée, voire « la cave » par suite du « descenseur social » (Philippe Guibert). Autrefois on disait : la bourgeoisie, le peuple, et tout le monde comprenait très bien mais c'était plus ennuyeux. Même si ses précédents ouvrages ne sont pas particulièrement vieillis, l'auteur se sent tenu d'exposer à nouveau frais les calamités qui retombent sur l'ensemble des milieux populaires rejeté à la périphérie, proche ou lointaine, des métropoles à bobos. Et d'esquisser un avenir possible.
La désindustrialisation, la régression sociale, n'ont pourtant pas réduit la majorité de la population à la passivité. Partout le rôle indispensable des personnels modestes dans la résistance de la société durant la crise sanitaire n'est plus à démontrer. Ici et là les gens ordinaires se rebellent avec le vote populiste (Trump, Brexit). Ils ont abandonné le mythe du progrès et rejeté le monde d'en haut dont la décomposition est déjà inscrite dans la « société liquide » (Zygmunt Bauman). Le green washing et la défense des minorités ne les atteignent pas : les gens ordinaires rejettent le multiculturalisme et ses arguties sociétales et se sentent heurtés par la curiosité médiatique à leur endroit : « la lessiveuse idéologique ne fonctionne plus » estime Ch. Guilluy.
Toujours vindicatif, Guilluy tonne contre la upper class. Adepte de l'individualisme et de la « mondialisation heureuse » elle perd le sens de la common decency, autrement dit du bien commun. Elle fait mine de prôner l'écologisme en oubliant, par « arrogance de classe » le bilan carbone de sa consommation et de ses voyages. Il prophétise que la working class prépare sa revanche parce qu'elle est plus sédentaire, pollue moins, consomme moins. La classe vertueuse, quoi.
En annonçant « la chute des citadelles », l'auteur accuse les grandes villes qui concentrent la richesse, l'emploi et la pollution : « La métropolisation apparaît comme un produit périmé, voire nocif » source de « catastrophes écologiques en cascade ». L'heure est venue du retour aux villes moyennes et aux villages car, comme disait Schumacher il y a déjà quarante ans « Small is beautiful ». Après lecture des collapsologues, l'auteur condamne donc les « métropoles barbares » (Guillaume Faburel) et prédit leur échec proche. « La démondialisation » et « la déconcentration urbaine » vont caractériser le « monde d'après ».
On ne sait pas si tout cela est judicieux, mais c'est une lecture qui réveille !
• Christophe Guilluy. Le temps des gens ordinaires. Flammarion, 2020, 199 pages.