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Dans ce roman choral Tahar Ben Jelloun met en scène des parents à jamais anéantis par le suicide de leur fille de seize ans victime d'un viol. Il tente de comprendre cette tragédie familiale en plongeant dans la conscience de la mère, Malika, et de Mourad son époux. Chacun révèle peu à peu ses travers et ses lâchetés : coupable certes, mais aussi victime de l'éducation et des coutumes marocaines. Toutefois dans ce sombre récit jaillit la lumière grâce à un jeune mauritanien apatride. Mais la fiction permet aussi à l'auteur de dénoncer le racisme et la montée du mouvement islamiste dans le monde arabe.

 

Malika et Mourad avaient été heureux au début de leur union, mais très vite elle avait poussé son mari, petit expert comptable, à céder à la corruption pour sortir de la pauvreté. Après deux ans de mariage, lui si honnête et intègre, s'était vengé de la perte de son honneur auprès de ses maîtresses. Le suicide de Samia, en les fracassant les a menés à l'affrontement : « Nous ne nous supportons plus » reconnaît Malika. Tous deux survivent reclus dans la cave de leur maison : elle, avare et dominatrice, ne cesse de se plaindre de son arthrose ; « infectée par la haine » elle prive son mari de nourriture. Lui, réellement malade et dépressif, se réfugie dans les livres. Tahar Ben Jelloun dénonce avec insistance la corruption qui gangrène la société marocaine, « véritable économie parallèle et indispensable » pour les pauvres : « le droit, la loi et la justice ils n'y croient pas ». « Seuls les corrupteurs et les corrompus vont bien ». Mourad prend peu à peu conscience d'être devenu « un salaud satisfait, un bon Marocain, corrompu et infidèle ».

 

Comment ces parents en sont-il arrivés là ?

Dans leur foyer, « les choses ne se disaient pas ». «  Je n'avais rien vu venir » avoue Mourad. Et Malika de reconnaître « Si notre fille nous a quittés, c'est que nous n'avions pas fait ce qu'il fallait pour savoir (...) ce qui la rendait malheureuse ». Privée d'écoute et de communication avec ses parents, Samia se sentait « étrangère à cette famille », se confiait à son journal, se nourrissait de lectures et composait des poèmes qu'elle rêvait de faire publier. C'est ainsi qu'elle rencontra Khenzir –  « cochon » en arabe –éditeur de poésie : « Pour être publiée il faut payer. C'est donnant donnant ». Violée par cet « ogre », il ne restait à Samia que « la honte et le silence », dans l'impossibilité de se confier à ses parents car « l'honneur de la famille se tient dans ma virginité. Et si je suis violée par un salaud, je suis le bourreau et non la victime ». Se retirer du monde devint pour elle la seule issue.

 

Sur cette « amertume » tragique l'auteur fait couler un peu de « miel » en la personne de Viad, jeune noir mauritanien sans papiers réfugié au Maroc. Malika l'embauche comme « homme de ménage » : il prendra soin des parents jusqu'à leur mort. Certes ce personnage solaire vient contrebalancer le récit tragique, mais c'est aussi un truchement pour évoquer la société mauritanienne où les Arabes fanatiques rejettent les noirs, où les Saoudiens « ont donné de l'argent pour des mosquées et rien pour des hôpitaux » et pour déplorer qu'au Maroc « le terrorisme au nom de l'islam ne cesse de se développer ».

Ce roman donne à réfléchir : comment des parents peuvent-ils ne rien pressentir de la souffrance de leur enfant ? Comment échapper aux diktats des coutumes et des traditions ? On ne sort pas indemne de ce récit.

 

Tahar Ben Jelloun. Le Miel et l'Amertume. Gallimard, 2021, 253 pages.

 

Chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #MAROC
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